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frêle, délicate, aux cheveux blonds et bouclés, tombant sur sa poitrine blanche et un peu maigre ; son front lisse et rêveur, ses grands yeux bleus, pleins de larmes, ses joues fraîches, sa bouche mignonne, la faisaient paraître beaucoup plus jeune qu’elle ne l’était en réalité ; elle avait dix-huit ans ; sa taille fine et cambrée, ses hanches rebondies, sa tournure décente, enfin tout dans sa délicieuse personne avait un charme de séduction qui formait un contraste complet avec la tournure décidée et les manières triviales des femmes qui l’avaient précédée sur l’estrade et de celles qui devaient y monter après elle.

— Louise, née à Montmartre, âgée de dix-huit ans : qui l’épouse pour trois ans, au prix de quinze écus ? dit l’agent de la Compagnie de sa voix railleuse.

La pauvre enfant cacha sa tête dans ses mains et fondit en larmes.

— Vingt écus pour Louise ! dit un aventurier en s’approchant.

— Vingt-cinq ! cria immédiatement un autre.

— Faites-lui donc relever la tête, qu’on la voie ! cria brutalement un troisième.

— Allons, petite, dit l’agent en l’obligeant à ôter ses mains de devant son visage, sois gentille, laisse-toi voir, c’est dans ton intérêt, que diable ! vingt-cinq écus !

— Cinquante ! dit Belle-Tête sans bouger de place.

Tous les regards se fixèrent sur lui ; jusqu’à ce moment Belle-Tête avait professé une haine profonde pour le mariage.

— Soixante ! cria un aventurier qui ne se souciait pas d’acheter la jeune fille, mais dans le but de faire pièce à son camarade.

— Soixante-dix ! dit un autre avec la même charitable intention.

— Cent ! cria Belle-Tête avec colère.

— Cent écus ! messieurs ! cent écus, Louise pour trois ans ! dit l’agent toujours impassible.

— Cent cinquante !

— Deux cents !

— Deux cent cinquante !

— Trois cents ! crièrent presque en même temps plusieurs aventuriers, en se rapprochant de plus en plus de l’estrade.

Belle-Tête était pâle de rage, il craignait qu’elle ne lui échappât.

L’aventurier s’était à tort ou à raison persuadé qu’il lui fallait une femme pour tenir son ménage ; or, il avait vu Louise, Louise lui avait plu, elle était à vendre, il voulait l’acheter.

— Quatre cents écus ! cria-t-il d’un air de défi.

— Quatre cents écus ! répéta l’agent de la Compagnie de sa voix monotone.

Il y eut un silence.

Quatre cents écus forment une somme ; Belle-Tête triompha.

— Cinq cents ! s’écria tout à coup une voix brève et stridente.

Le tournoi recommençait, les adversaires ne s’étaient arrêtés que pour reprendre des forces.

L’agent de la Compagnie se frottait les mains d’un air de jubilation en répétant :