Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— L’OIonnais est adjugé à Montbars l’Exterminateur, au prix de quarante écus, dit l’agent.

— Les voilà, répondit l’aventurier en jetant une poignée d’argent sur la table ; allons, viens, commanda-t-il à l’Olonnais, tu es maintenant mon engagé.

Celui-ci sauta en bas de l’estrade et accourut vers lui d’un air joyeux.

— C’est vous qui êtes Montbars l’Exterminateur ? lui demanda-t-il curieusement.

— Tu m’interroges, je crois ! dit en riant l’aventurier ; cependant, comme ta question me semble assez naturelle, pour cette fois j’y répondrai : oui, c’est moi.

— Alors je vous remercie de m’acheter, Montbars ; avec vous je suis certain de devenir promptement un homme.

Et, sur un signe de son nouveau maître, il alla respectueusement se placer derrière lui.

La partie la plus curieuse de la vente commençait alors pour les aventuriers, c’est-à-dire la vente des femmes.

Les pauvres malheureuses, jeunes et jolies pour la plupart, montaient en tremblant sur l’estrade, et malgré leurs efforts pour faire bonne contenance, elles rougissaient de honte et des larmes brûlantes coulaient sur leurs visages en se voyant ainsi exposées aux regards de tous ces hommes, dont les yeux ardents se fixaient sur elles.

C’était surtout sur les femmes que la Compagnie faisait de grands bénéfices, d’autant plus faciles à réaliser qu’elle les avait pour rien et les vendait le plus cher possible.

Les hommes étaient ordinairement adjugés à un prix qui variait de trente à quarante écus, mais ne pouvait jamais aller au delà ; pour les femmes, c’était différent, elles étaient mises aux enchères, seulement le gouverneur avait le droit d’arrêter la vente, lorsque le prix lui paraissait assez élevé.

Ces femmes étaient toujours adjugées au milieu de cris, de quolibets et de plaisanteries fort crues, pour la plupart adressées aux aventuriers qui ne craignaient pas de se risquer sur l’océan rempli d’écueils du mariage.

Belle-Tête, ce féroce aventurier dieppois dont nous avons parlé déjà et que nous avons rencontré à la réunion du hatto, avait, ainsi qu’il se l’était proposé, acheté deux engagés pour remplacer deux des siens morts, ainsi qu’il disait, de paresse, mais en réalité des coups qu’il leur avait administrés ; puis, au lieu de retourner dans sa case, il avait confié les engagés à son commandeur : car les aventuriers, de même que les propriétaires de noirs, avaient des commandeurs chargés de faire travailler leurs esclaves blancs, et l’aventurier était demeuré dans le hangar, suivant avec le plus vif intérêt la vente des femmes.

Ses amis ne se firent pas faute de le plaisanter, mais il se contenta de hausser les épaules d’un air de dédain et demeura les deux mains croisées sur l’extrémité du canon de son long fusil et les yeux opiniâtrement tournés vers l’estrade.

Une jeune femme venait d’y prendre place à son tour : c’était une enfant