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ladrones, ainsi que vous nous nommez, elle n’a, à mon avis, aucune valeur ; vous vous faites même un cas de conscience, vous, hidalgos de la vieille Espagne, de la violer sans le moindre scrupule lorsque votre intérêt vous y engage.

Don Antonio baissa la tête sans répondre, reconnaissant intérieurement, bien qu’il ne voulût pas en convenir, l’exacte vérité des paroles du flibustier.

Celui-ci jouit un instant du désarroi de l’Espagnol, puis il frappa deux ou trois fois la table du manche de son couteau.

L’engagé du capitaine entra immédiatement.

— Que me voulez-vous, Montbars ? demanda-t-il.

— Dites-moi, mon brave camarade, fit l’aventurier, n’avez-vous pas vu un Caraïbe rouge rôder autour de cette maison ?

— Pardonnez-moi, Montbars, un Caraïbe rouge m’a demandé il n’y a qu’un instant si vous étiez ici ; je lui ai répondu affirmativement, mais je n’ai pas voulu transgresser les ordres que j’avais reçus de vous et le laisser entrer ainsi qu’il le désirait.

— Fort bien, cet homme n’a pas dit son nom ?

— Si, au contraire, c’est la première chose qu’il ait faite ; il se nomme O-mo-poua.

— C’est bien l’homme que j’attendais ; faites-le donc entrer, je vous prie, car il doit attendre à la porte, et revenez avec lui.

L’engagé sortit.

— Que voulez-vous faire de cet homme ? demanda l’Espagnol avec une nuance d’inquiétude qui n’échappa pas à l’œil clairvoyant de l’aventurier.

— Cet Indien est simplement destiné à être votre garde du corps, monsieur, dit-il.

— Hum ! il paraît en effet alors que vous tenez réellement à me conserver.

— Extrêmement, señor.

En ce moment, l’engagé rentra suivi du Caraïbe qui n’avait rien changé à son costume primitif, mais qui avait profité de la permission de Montbars pour s’armer jusqu’aux dents.

— O-mo-poua et vous, mon ami, écoutez bien ce que je vais vous dire : vous voyez cet homme ? fit-il en désignant du geste l’Espagnol toujours impassible.

— Nous le voyons, répondirent-ils.

— Vous allez le conduire vous deux à bord du lougre, où vous le remettrez à mon matelot, Michel le Basque, auquel vous le confierez en lui recommandant de veiller avec le plus grand soin sur lui ; si, pendant le trajet d’ici au navire, cet homme essayait de prendre la fuite, brûlez-lui la cervelle sans pitié. M’avez-vous bien compris ?

— Oui, dit l’engagé, rapportez-vous-en à nous, nous répondons de lui sur notre tête.

— C’est bien, je compte sur votre parole ; monsieur, ajouta-t-il en s’adressant à don Antonio, veuillez, je vous prie, suivre ces deux hommes.

— J’obéis au plus fort, monsieur.