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— Diable ! vous êtes difficile ; ce n’est donc rien que de sauver sa vie du nœud coulant ?

— Cher monsieur, lorsque comme moi on n’a rien à perdre et par conséquent tout à gagner à un changement quelconque de position, la mort est plutôt un bienfait qu’une calamité.

— Vous êtes philosophe, à ce qu’il paraît.

— Non, du diable ! si de pareilles sornettes m’ont jamais tourmenté. Je ne suis qu’un homme désespéré.

— C’est souvent la même chose ; mais revenons à notre affaire.

— Oui, revenons-y, cela vaudra mieux.

— Eh bien ! je vous offre ma part de prise entière du premier navire dont je m’emparerai, cela vous convient-il ?

— Ceci est déjà mieux, malheureusement le navire dont vous me parlez est comme l’ours de la fable, il court encore. Je préférerais quelque chose de plus substantiel.

— Allons, je vois qu’il faut vous céder ; servez-moi bien et je vous récompenserai si généreusement que le roi d’Espagne lui-même ne pourrait faire davantage.

— Eh bien ! c’est convenu, je me risque ; maintenant, veuillez me dire les services que vous attendez de moi ?

— Je veux que vous m’aidiez à m’emparer par surprise de l’île de la Tortue que vous avez assez longtemps habitée et dans laquelle vous avez, je le crois, conservé des relations.

— Je ne vois pas d’inconvénient à tenter cela, bien que je commence par faire mes réserves.

— Qui sont ?

— Que je ne m’engage pas à vous assurer la réussite de ce hasardeux projet.

— Cette observation est juste ; mais soyez tranquille, si l’île est bien défendue, elle sera bien attaquée.

— Pour cela, j’en ai la conviction ; voyons l’autre chose.

— Celle-là je vous la ferai connaître lorsqu’il en sera temps, señor ; quant à présent, d’autres soins nous occupent.

— À votre aise, monsieur, vous-même jugerez de l’opportunité.

— Maintenant, monsieur, ainsi que j’ai eu l’honneur de vous le dire en commençant, comme je vous sais un homme très fin et fort capable de me glisser comme un serpent entre les mains sans le moindre scrupule, et comme je veux éviter toute éventualité et vous mettre à l’abri de toute pensée à cet égard, vous allez me faire le plaisir de vous rendre à l’instant même à bord de mon lougre.

— Prisonnier ! fit l’Espagnol avec un geste de mauvaise humeur.

— Non pas prisonnier, cher don Antonio, mais considéré comme un otage et traité en cette qualité, c’est-à-dire avec toutes les attentions compatibles avec notre sûreté commune.

— Cependant la parole d’un gentilhomme…

— Est bonne entre gentilshommes, c’est vrai, mais avec nous autres