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Celui-ci fut froissé de cette attaque subite et frappant du poing la table :

— Votre histoire, monsieur, la voici en deux mots, dit-il : Vous êtes Andalou, né à Malaga, cadet de famille, et par conséquent, destiné à entrer dans les ordres. Vous avez un beau jour, ne vous sentant aucun goût pour la tonsure, fui la maison paternelle et vous vous êtes embarqué sur un vaisseau espagnol destiné pour Hispaniola. Votre nom est don Antonio de la Ronda ; vous voyez, monsieur, que jusqu’à présent, je suis bien renseigné, n’est-ce pas ?

— Continuez, je vous prie, monsieur, répondit l’étranger avec un flegme parfait, vous m’intéressez au plus haut point.

Montbars haussa les épaules et reprit :

— Arrivé à Hispaniola, vous avez su en peu de temps, grâce à votre bonne mine, et surtout à votre esprit fin et délié, vous faire des protecteurs puissants ; si bien que, arrivé d’Europe depuis trois ans à peine, vous avez fait un chemin si rapide, que vous êtes aujourd’hui un des hommes les plus influents de la colonie ; malheureusement…

— Vous dites malheureusement ? interrompit l’inconnu avec un sourire railleur.

— Oui, monsieur, répondit imperturbablement l’aventurier ; malheureusement donc, la fortune vous tourna la tête et cela si bien…

— Si bien ?

— Que malgré vos amis, on vous arrêta et on vous menaça d’un jugement pour détournement d’une somme de près de deux millions de piastres : un beau chiffre ! je vous en fais mon compliment. Tout autre que vous, monsieur, je me plais à le reconnaître, aurait été perdu, ou à peu près, le cas étant des plus graves ; et le conseil des Indes ne plaisante pas en matière d’argent.

— Permettez-moi de vous interrompre, cher monsieur, dit l’étranger avec la plus complète aisance ; vous contez cette histoire avec un talent extrême ; mais si vous continuez ainsi, elle menace de durer indéfiniment. Si vous me le permettez, je la terminerai en quelques mots.

— Ah ! ah ! vous la reconnaissez donc vraie, maintenant ?

— Pardieu ! fit l’inconnu avec un merveilleux aplomb.

— Vous reconnaissez être don Antonio de la Ronda ?

— Pourquoi le nierais-je plus longtemps, puisque vous êtes aussi bien instruit ?

— De mieux en mieux ; de sorte que vous avouez vous être introduit en fraude dans la colonie, dans le but de…

— J’avoue tout ce qu’il vous plaira, fit vivement l’Espagnol.

— Alors, ceci bien établi, vous méritez d’être pendu et vous allez l’être, dans quelques instants.

— Eh bien, non ! reprit-il sans rien perdre de son sang-froid ; voilà où nous différons essentiellement d’opinion, cher monsieur. Votre conclusion n’est pas logique le moins du monde.

— Hein ? s’écria l’aventurier, surpris de ce brusque changement d’humeur auquel il ne s’attendait pas.