Page:Aimard - Les Aventuriers, 1891.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je l’ignore.

— Et dans quel endroit s’est-il réfugié ?

— Chez un Anglais.

— Dans la colonie anglaise alors ?

— Non, à la Basse-Terre.

— Tant mieux. Quel est le nom de cet Anglais ?

— C’est le capitaine Williams Drack.

— Le capitaine Drack ! s’écria Montbars avec surprise. C’est impossible !

— Cela est.

— Alors, le capitaine ne le connaît pas !

— Non, cet homme est entré chez lui, il lui a demandé l’hospitalité, le capitaine ne pouvait pas la lui refuser.

— C’est juste ; monte à mon hatto, prends des vêtements, un fusil, enfin les armes que tu voudras, et reviens me rejoindre chez le capitaine Drack ; si je n’y étais plus, tu me rencontrerais sur le port ; va.

Montbars retourna alors sur ses pas et se dirigea vers la Basse-Terre, tandis que le Caraïbe prenait à vol d’oiseau, selon la coutume indienne, le chemin du hatto.

La Basse-Terre était l’entrepôt, ou pour mieux dire le quartier général de la colonie française ; à l’époque où se passe notre histoire, ce n’était qu’une misérable bourgade bâtie sans ordre, selon le caprice ou la convenance de chaque propriétaire ; une agglomération de huttes plutôt qu’une ville, mais produisant de loin un effet des plus pittoresques à cause même de ce chaos de maisons de toutes formes et de toutes grandeurs groupées ainsi sur le bord de la mer, devant une rade magnifique remplie de navires se balançant sur leurs ancres et constamment sillonnée par un nombre infini de pirogues.

Une batterie de six pièces de canon établie sur une pointe avancée défendait l’entrée de la rade.

Mais dans cette ville si chétive, si sale et si misérable en apparence, on sentait circuler la vie pleine de sève, de vigueur et de violence des singuliers habitants, uniques au monde, qui en formaient l’hétérogène population. Les rues étroites et sombres étaient encombrées de gens de toutes sortes et de toutes couleurs qui allaient et venaient d’un air affairé.

Des cabarets chantaient au coin de toutes les places et de tous les carrefours, des marchands ambulants hurlaient leur marchandise d’une voix éraillée, et des crieurs publics, suivis d’une foule qui, à chaque pas, se grossissait de tous les oisifs, annonçait à grand renfort de trompettes et de tambours la vente, pour le jour même, des nouveaux engagés arrivés l’avant-veille sur un vaisseau de la Compagnie.

Montbars passa inaperçu au milieu de la foule et arriva à la porte de la case du capitaine Williams Drack, maison d’une assez belle apparence, proprement tenue, qui s’élevait sur le bord de la mer, non loin de l’habitation du gouverneur.

Le flibustier poussa la porte qui, selon l’habitude du pays, n’était pas fermée, et il entra dans l’intérieur de la case.