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son front comme pour en effacer toute trace d’émotion, il rentra à grands pas dans le hatto.

La délibération était terminée, les flibustiers avaient repris leurs sièges, Montbars regagna le sien et attendit avec une indifférence affectée qu’il plût à un de ses compagnons de prendre la parole.

— Frère, dit alors David, nous avons mûrement réfléchi à ta proposition ; nos compagnons me chargent de te dire qu’ils l’acceptent ; seulement ils désirent savoir quels moyens tu comptes employer pour mettre ton projet à exécution et le faire réussir.

— Frères, je vous remercie, répondit Montbars, de m’avoir donné votre assentiment ; quant aux moyens que je, compte employer pour m’emparer de la Tortue, permettez-moi, quant à présent, de les tenir secrets, la réussite même de l’expédition m’en fait un devoir ; sachez seulement que je ne veux compromettre personne et que seul j’ai l’intention de courir tous les risques.

— Tu me comprends mal, frère, ou je me suis mal expliqué, reprit David ; si je t’ai demandé de quelle façon tu comptais agir, ce n’était nullement poussé par une curiosité puérile, mais parce que, dans une question aussi grave et qui intéresse l’association tout entière, nous avons résolu de t’accompagner et de mourir ou de vaincre avec toi ; nous voulons partager l’honneur du triomphe ou assumer une partie de la défaite.

Malgré lui, Montbars se sentit ému à ces généreuses paroles si noblement prononcées, et tendant par un mouvement spontané ses mains aux flibustiers qui les serrèrent avec énergie :

— Vous avez raison, frères, dit-il, tous nous devons concourir à cette grande œuvre qui, je l’espère, nous mettra enfin à même d’accomplir de nobles choses ; nous irons donc tous à la Tortue, seulement, et croyez bien que ce n’est pas par ambition que je parle en ce moment, laissez-moi diriger l’expédition.

— N’es-tu pas notre chef ! s’écrièrent les flibustiers.

— Nous t’obéirons selon les lois de la flibuste, dit David ; celui qui conçoit une expédition a seul le droit de la commander ; nous serons tes soldats.

— C’est convenu, frères. Aujourd’hui même, vers onze heures du matin, après avoir assisté à la vente des nouveaux engagés arrivés de France avant-hier, j’irai trouver le gouverneur pour le prévenir que je prépare une nouvelle course, les enrôlements commenceront aussitôt.

— Aucun de nous ne manquera au rendez-vous, dit Belle-Tête ; j’ai justement deux engagés à acheter pour remplacer deux fainéants qui se sont laissés mourir de paresse.

— Voilà qui est dit, fit Barthélemy, à onze heures nous serons tous à la Basse-Terre.

Ils se levèrent alors et se préparèrent à se retirer, car la nuit tout entière s’était écoulée dans ces discussions, et déjà le soleil, bien qu’encore au-dessous de l’horizon, commençait à le nuancer de larges bandes nacrées qui se fondaient peu à peu dans des tons de pourpre et témoignaient qu’il ne tarderait pas à paraître.

— À propos, dit Montbars d’un air indifférent à Morgan qu’il accompa-