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prises, prélevons une somme destinée à composer le trésor commun, et tout en demeurant libres d’organiser des expéditions particulières, jurons-nous de ne pouvoir jamais nous nuire ou nous contrecarrer les uns les autres, de nous porter secours quand besoin sera, de travailler de tout notre pouvoir à la ruine de l’Espagne, et, tout en laissant ignorer notre association à nos compagnons et à nos frères, de réunir nos forces lorsque le moment sera venu pour écraser d’un coup notre implacable ennemi. Voilà, frères, quelle était la première proposition que j’avais à vous faire ; j’attends votre décision.

Il y eut un instant de silence : les flibustiers comprenaient l’importance de la proposition de leur frère et la force qu’elle leur donnerait dans l’avenir ; ils échangèrent des regards entre eux, se parlèrent bas, puis enfin Williams Drack, au nom de tous, se chargea de répondre.

— Frère, dit-il, tu viens en quelques mots d’élucider une question qui jusqu’ici était toujours demeurée dans l’ombre ; tu as parfaitement défini la cause de notre faiblesse, en trouvant du même coup, ainsi que tu nous l’avais promis, non pas le remède, mais le moyen de rendre une association due au hasard et presque inutile jusqu’ici, réellement formidable et utile. Mais ce n’est pas tout : cette association dont tu parles a besoin d’une tête qui la dirige et, le moment venu, lui assure le succès de ses efforts. Il faut donc que de même que notre association demeurera secrète et que, pour tout ce qui n’en regardera pas essentiellement le but, elle sera comme si elle n’existait pas, un de nous en soit nommé le chef, chef d’autant plus fort, que nous lui serons dévoués et nous l’aiderons à travailler au bien général, tout en lui conservant un secret absolu.

— Est-ce bien là votre avis, frères ? demanda Montbars, acceptez-vous ma proposition telle que je vous l’ai faite et que Williams Drack l’a modifiée ?

— Nous l’acceptons ainsi, répondirent les flibustiers d’une seule voix.

— Fort bien, seulement je crois que ce chef dont vous parlez doit être élu par nous à l’unanimité, que ses pouvoirs pourront lui être enlevés dans une réunion de l’assemblée à la majorité des voix, s’il ne remplissait pas strictement les conditions qu’il aura acceptées ; que, gardien du trésor des associés, il sera toujours prêt à rendre ses comptes, et que son mandat, à moins d’être renouvelé, ne pourra excéder cinq ans.

— Tout ceci est juste, dit Bras-Rouge, on ne saurait mieux comprendre l’intérêt général que toi, frère.

— Ainsi, fit observer David, nous serons matelots : nulle querelle, nulle discussion quelconque, enfin, ne sera possible entre nous ?

— Tout en conservant ostensiblement notre libre arbitre et notre indépendance la plus complète, appuya Belle-Tête ?

— Oui, répondit Montbars.

— Maintenant, frères, dit Williams Drack en se levant et en ôtant son bonnet, écoutez-moi : Je jure, moi, Williams Drack, sur ma foi et sur mon honneur, le dévouement le plus complet à l’association des Douze, me soumettant d’avance à subir le châtiment qu’il plairait à mes frères de m’infliger, même la mort, si je trahissais le secret de l’association et si je faussais mon serment. Ainsi Dieu me soit en aide !