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au milieu de la salle et sur laquelle se trouvaient des pipes, un pot rempli de tabac, une cruche d’eau-de-vie et des verres.

Les flibustiers prirent place, allumèrent les pipes et emplirent les verres.

— Frères, reprit Montbars au bout d’un instant, je vous ai priés de venir à mon hatto pour deux raisons, fort importantes, et dont la seconde découle nécessairement de la première ; êtes-vous disposés à m’écouter ?

— Parle, Montbars, répondit Williams Drack au nom de tous, toi que les Gavachos ont surnommé l’Exterminateur, nom que je t’envie, frère, tu ne peux vouloir que le bien de la flibuste.

— C’est de ce bien même qu’il s’agit, répondit Montbars.

— J’en étais sûr, frère, parle, nous t’écoutons religieusement.

Ils prêtèrent attentivement l’oreille ; tous ces hommes si énergiquement trempés qui ne reconnaissaient d’autres lois que celles qu’ils s’étaient faites eux-mêmes, ignoraient l’envie, ils étaient prêts à discuter avec la plus entière bonne foi les propositions qu’ils prévoyaient que Montbars désirait leur faire.

Celui-ci se recueillit un instant, puis il prit la parole d’une voix douce, dont l’accent sympathique captiva bientôt son auditoire.

— Frères, dit-il, je serai bref, car vous êtes des hommes d’élite au cœur chaud et à la main ferme, avec lesquels les longs discours sont non seulement inutiles, mais encore ridicules. Depuis mon arrivée à Saint-Christophe, j’étudie la flibuste, sa vie, ses mœurs, ses aspirations ; j’ai reconnu avec peine que les faits ne justifient pas ses efforts. Que faisons-nous ? rien ou presque rien ; malgré notre courage indompté, les Espagnols se rient de nous ; trop faibles à cause de notre isolement pour leur imposer des pertes réelles, nous usons vainement notre énergie, nous versons notre sang pour leur enlever quelques misérables navires ; ce n’est pas ainsi que les choses doivent aller, ce n’est pas cette vengeance misérable que chacun de nous avait rêvée. Quelle est la cause de notre faiblesse relative vis-à-vis de notre formidable ennemi ? Cet isolement dont je vous parlais, il n’y a qu’un instant, isolement qui toujours paralysera nos efforts.

— C’est vrai, murmura Bras-Rouge.

— Mais que pouvons-nous faire à cela ? dit David.

— Hélas ! fit Williams Drack, le remède est malheureusement impossible.

— Nous ne sommes que des aventuriers, et non une puissance, dit Belle-Tête.

Montbars sourit de ce sourire pâle et sinistre qui lui était particulier et qui faisait froid au cœur.

— Vous vous trompez, frères, dit-il, le remède est trouvé ; si nous le voulons, bientôt nous serons une puissance.

— Parle ! parle ! frère, s’écrièrent tous les aventuriers en se levant d’un bond.

— Voici mon projet, frères, reprit-il ; nous sommes ici douze, de toutes nations, mais d’un même cœur, la fleur de la flibuste, je le déclare hautement sans craindre d’être démenti, car chacun de nous a fait ses preuves, et quelles preuves ! Eh bien ! associons-nous, formons une famille ; sur nos parts des