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— Mais vous savez que non seulement il nous a appelés, nous, mais encore les principaux flibustiers français.

— Alors je me perds sur le but de cette réunion, reprit Bas-Rouge ; du reste, peu importe quant à présent, nous ne tarderons pas, je le présume, à savoir à quoi nous en tenir.

— C’est juste, puisque nous voici arrivés.

En effet, ils atteignaient en ce moment le sommet du sentier et se trouvaient sur la plate-forme, juste en face du hatto, dont la porte était ouverte comme pour les engager à entrer.

Une lumière assez vive s’échappait par l’ouverture de cette porte, et un bruit de voix assez fort témoignait qu’il y avait grande réunion dans l’intérieur du hatto.

Les Anglais continuèrent à s’avancer, et bientôt ils se trouvèrent sur le seuil de la porte.

— Entrez, frères, dit alors de l’intérieur la voix harmonieuse de Montbars, entrez, on vous attend.

Ils entrèrent.

Six ou sept personnes se trouvaient réunies dans la pièce où ils pénétraient ; ces sept ou huit personnes étaient les chefs les plus renommés de la flibuste. Parmi eux se trouvaient Belle-Tête, ce féroce Dieppois qui avait assommé plus de trois cents de ses engagés qu’il accusait ensuite d’être morts de paresse ; Pierre le Grand, le Breton qui ne pouvait attaquer les Espagnols qu’au son du biniou et qui ne montait à l’abordage des galions que déguisé en femme ; Alexandre Bras-de-Fer, jeune homme frêle et délicat en apparence, aux traits efféminés, mais doué en réalité d’une vigueur prodigieuse et véritablement herculéenne, qui devait devenir plus tard un des héros de la flibuste ; Roc, surnommé le Brésilien, bien qu’il fût né à Groningue, ville de la Frise orientale, puis deux de nos anciennes connaissances, Vent-en-Panne et Michel le Basque, tous deux arrivés à Saint-Christophe en même temps que Montbars et dont la réputation comme flibustiers était déjà fort grande.

Quant aux Anglais qui venaient d’entrer dans le hatto au nombre de cinq, c’étaient Bas-Rouge, dont le nom a déjà été prononcé dans la conversation qui précède ; Morgan, jeune homme de dix-huit ans à peine, à la figure hautaine et aux manières aristocratiques ; Jean David, marin hollandais établi dans la partie anglaise de l’île ; Barthélemy, Portugais établi aussi dans la colonie anglaise, et enfin Williams Drack, qui avait fait le serment de n’attaquer les Espagnols que lorsqu’ils se trouveraient vis-à-vis de lui au moins dans la proportion de quinze contre un, tant était grand le mépris qu’il professait pour cette nation superbe.

C’était, ainsi qu’on le voit, une réunion choisie de tout ce que la flibuste comptait d’illustre à cette époque.

— Soyez les bienvenus, frères, dit Montbars, je suis heureux de vous voir, je vous attendais avec impatience ; voici des pipes, du tabac et de l’eau-de-vie, fumez et buvez, ajouta-t-il en indiquant d’un geste une table placée