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à l’intelligence de ses habitants, mais surtout au travail incessant des engagés de la Compagnie.

C’est ici le moment de faire connaître ce que c’était que ces pauvres gens et le sort qui leur était fait par les colons.

Nous avons dit plus haut que la Compagnie envoyait aux îles des hommes qu’elle engageait pour trois ans.

Tout lui était bon : ouvriers de tous états, chirurgiens même, qui, se persuadant qu’on les destinait à aller exercer leur profession dans les colonies, se laissèrent séduire par les belles promesses que la Compagnie ne se faisait pas faute de prodiguer.

Mais une fois leur consentement donné, c’est-à-dire signé, la Compagnie les considérait comme des hommes lui appartenant corps et âme ; et lorsqu’ils arrivaient aux colonies, ses agents les vendaient pour trois ans aux planteurs moyennant trente ou quarante écus par tête, et cela à la face du soleil, devant le gouverneur.

Ils devenaient ainsi de véritables esclaves soumis aux aventuriers de la colonie et condamnés aux corvées les plus rudes.

Aussi les pauvres misérables, si indignement abusés, roués de coups, accablés de fatigue sous un climat meurtrier, succombaient-ils pour la plupart avant d’avoir atteint la troisième année qui devait les rendre à la liberté.

Ceci fut poussé si loin qu’il arriva que les maîtres prétendirent prolonger au delà des trois ans l’esclavage stipulé. Vers la fin de 1632, la colonie de Saint-Christophe courut d’extrêmes dangers, parce que les engagés dont le temps était fini et auxquels leurs maîtres refusaient la liberté prirent les armes, organisèrent la résistance et se préparèrent à attaquer les colons avec cette énergie du désespoir à laquelle aucune force ne résiste. M. d’Esnambuc ne parvint à leur faire mettre bas les armes et à éviter l’effusion du sang qu’en faisant droit à leurs réclamations.

Plus tard, lorsqu’enfin on connut en France la triste condition faite aux engagés par les agents de la Compagnie, il devint à ceux-ci presque impossible de trouver des hommes de bonne volonté, si bien qu’ils furent contraints de s’en aller par les places et les carrefours recruter les vagabonds qu’ils enivraient et auxquels ils faisaient ensuite signer un engagement qu’il leur était impossible de rompre.

Nous n’insisterons pas davantage sur ce chapitre, d’autant plus que pendant le cours de cette histoire nous aurons à revenir souvent sur les engagés ; nous n’ajouterons qu’un mot à propos des malheureux que l’Angleterre expédiait aux îles dans les mêmes conditions.

Si le sort des engagés français était affreux, il est prouvé que celui des engagés anglais était horrible.

Ils étaient traités avec la barbarie la plus atroce, contractaient un engagement de sept années, puis au bout de ce temps, lorsque le moment de recouvrer leur liberté était enfin arrivé, on les enivrait et, profitant de leur abrutissement, on leur faisait signer un second engagement pour le même laps de temps.