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auxquels ils appartenaient, ils les attaquèrent partout où ils les rencontrèrent.

Les Espagnols, tout occupés de leurs riches possessions du Mexique, du Pérou et en général de leurs colonies de terre ferme, mines pour eux de richesses inépuisables, avaient commis la faute de négliger les Antilles, qui s’étendent du golfe du Mexique au golfe de Maracaïbo, et de n’établir des colonies que sur les quatre grandes îles de cet archipel.

Cachés au fond des anses, derrière les sinuosités du rivage les aventuriers fondaient subitement sur les navires espagnols, les prenaient à l’abordage, puis revenaient à terre partager leur butin.

Les Espagnols, malgré le grand nombre de leurs bâtiments, l’active surveillance qu’ils exerçaient, ne pouvaient plus traverser la mer des Antilles, que les aventuriers avaient choisie pour théâtre de leurs exploits, sans courir le risque de combats acharnés contre des hommes que la petitesse et la légèreté de leurs navires rendaient presque insaisissables.

La vie errante avait tant de charmes pour ces aventuriers qui s’étaient à eux-mêmes donné le nom caractéristique de flibustiers, c’est-à-dire franc butineurs[1], que pendant longtemps la pensée ne leur vint pas de former un établissement durable au milieu de ces îles qui leur servaient de retraites passagères.

Les choses en étaient là, lorsqu’en 1625 un cadet de Normandie, nommé d’Esnambuc, auquel le droit d’aînesse ne laissait d’autre espoir de fortune que celle qu’il pourrait acquérir par son industrie ou par son courage, arma à Dieppe un brigantin de soixante-dix tonneaux à peu près, sur lequel il mit quatre canons et quarante hommes résolus, et partit pour faire la chasse aux Espagnols et essayer de s’enrichir par quelque bonne prise.

Arrivé aux Caïmans, petites îles situées entre Cuba et la Jamaïque, il tomba à l’improviste dans les eaux d’un grand vaisseau espagnol portant trente-cinq canons et trois cent cinquante hommes d’équipage ; la situation était critique pour le corsaire.

D’Esnambuc, sans donner aux Espagnols le temps de le reconnaître, laissa arriver en grand sur eux et les attaqua. Le combat dura trois heures avec un acharnement inouï ; les Dieppois se défendirent si bien que les Espagnols, désespérant de les vaincre et ayant perdu la moitié de leur équipage, cessèrent les premiers la lutte et prirent honteusement chasse devant le petit navire.

Cependant celui-ci avait beaucoup souffert, à peine pouvait-il se soutenir au-dessus de l’eau ; dix hommes de son équipage avaient été tués, les autres, couverts de blessures, ne valaient guère mieux.

L’île Saint-Christophe n’était pas fort éloignée, d’Esnambuc l’atteignit à grand’peine et s’y réfugia pour renflouer son navire et soigner ses blessés ; puis, calculant que pour la réussite de ses courses futures il avait besoin d’une retraite sûre, il résolut de s’établir dans cette île.

Saint-Christophe, que des Caraïbes nommaient Liamniga, est située par 17° 48’ de latitude N. et 65° de longitude O. ; elle se trouve à vingt-trois

  1. De free booters.