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Ce fut surtout pendant la seconde moitié du xviie siècle que le monde offrit un spectacle étrange.

À cette époque, les Espagnols, possesseurs par le droit du plus fort de la plus grande partie de l’Amérique, où ils avaient accumulé les colonies, étaient maîtres de la mer que le célèbre balai de Hollande n’avait pas encore nettoyée. La marine anglaise s’ébauchait à peine et, malgré les efforts continus de Richelieu, la marine française n’existait pas.

On vit tout à coup, sans savoir d’où ils venaient, surgir quelques aventuriers qui, seuls, enfants perdus de la civilisation, hommes de toutes castes, depuis la plus haute jusqu’à la plus humble, appartenant à toutes les nations, mais surtout à la française, perchés comme des vautours sur un îlot imperceptible de l’océan Atlantique, avaient entrepris de lutter contre la puissance castillane, et, de leur autorité privée, lui avaient déclaré une guerre sans merci ; attaquant les flottes espagnoles avec une audace inouïe, et comme un taon attaché au flanc d’un lion, tenant en échec le colosse espagnol, ils le contraignaient à traiter avec eux de puissance à puissance, sans autre secours que leur courage et leur énergique volonté.

En quelques années leurs exploits incroyables, leurs coups de main audacieux, inspirèrent une terreur telle aux Espagnols et leur acquirent une réputation si grande et si méritée, que les déshérités de la fortune, les chercheurs d’aventures, affluèrent de tous les coins du monde à l’île qui leur servait de repaire, et leur nombre s’accrut dans des proportions telles, qu’ils parvinrent presque à se constituer une nationalité par la seule force de leur volonté et de leur audace.

Disons en quelques mots quels étaient ces hommes et quelle fut l’origine de leur étrange fortune.

Il nous faut pour cela revenir aux Espagnols.

Ceux-ci, après leurs immense découvertes dans le nouveau monde, avaient obtenu du pape Alexandre VI une bulle qui leur concédait la propriété exclusive des deux Amériques.

Forts de cette bulle et se considérant comme seuls propriétaires du nouveau monde, les Espagnols prétendirent en écarter tous les autres peuples, et commencèrent à traiter en corsaires tous les bâtiments qu’ils rencontrèrent entre les deux tropiques.

Leur puissance maritime et le rôle important qu’ils jouaient alors sur le continent américain ne laissaient pas aux gouvernements la faculté de protester comme ils l’auraient désiré contre cette odieuse tyrannie.

Alors il arriva que des armateurs français et anglais, excités par l’appât du gain et ne tenant aucun compte des prétentions espagnoles, armèrent des navires qu’ils envoyèrent vers les riches régions si convoitées, pour enlever les convois espagnols, piller les côtes américaines et incendier les villes.

Traités en pirates, ces hardis marins acceptèrent franchement la position qui leur était faite, commirent des excès épouvantables partout où ils débarquèrent, se chargèrent de riches dépouilles, et, méprisant les droits des nations, ne se souciant guère que les Espagnols fussent ou non en guerre avec les pays