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Le Forestier

sachant même pas se servir des armes qu’ils tiendront, ahuris par la fumée, seront incapables de quoi que ce soit ; et leur bonne volonté même nuira aux manœuvres des troupes réglées, entravera leurs mouvements et jettera le désordre parmi elles, vous le verrez : c’est-à-dire, pardon ! vous ne le verrez pas, mais nous le verrons, nous, et nous vous le raconterons à notre retour ; les seuls ennemis avec lesquels nous devions compter sont les soldats, c’est-à-dire la garnison.

— Très bien ! en connaissez-vous le chiffre, de cette garnison ?

— Ma foi non, je vous l’avoue.

— Elle se monte à douze mille hommes.

— Pas davantage ? je la supposais plus forte c’est bien imprudent aux Espagnols, vous en conviendrez, monsieur, de mettre une si petite garnison dans une place aussi importante.

— Ceci fut dit d’une voix si douce, d’un ton si placide, que M. d’Ogeron, bien qu’habitué avec de pareils hommes à ne s’étonner de rien, en fut complètement déferré, ainsi que dit ce bon Tallemant des Réaux.

— Enfin, reprit le gouverneur au bout d’un instant, encore faut-il que vous sachiez quels sont les hommes qui composent cette garnison.

— Des soldats, je suppose.

— Oui, mais ces soldats sont les restes de ces vieilles bandes espagnoles réputées, pendant les guerres des Flandres, comme étant la meilleure infanterie de l’Europe ; ils ne fuiront pas, ceux-là, il faudra les tuer jusqu’au dernier pour en avoir raison.

— On les tuera, monsieur, n’ayez crainte ! Pardieu ! je vous remercie bien sincèrement, cette dernière nouvelle est excellente ; nous trouverons enfin à qui parler ; cela me charme ; merci encore une fois, monsieur.

Au même instant, et comme pour ponctuer cette phrase singulière, une effroyable détonation éclata comme un coup de tonnerre, suivie presque aussitôt de plusieurs autres.

— Qu’est cela ? s’écria le gouverneur avec surprise.

Les aventuriers s’élancèrent au balcon et regardèrent.

Plusieurs bâtiments, dont le premier portait guidon au grand mat, entraient dans le port et saluaient la ville en allant prendre leur mouillage, à l’abri du fort, qui répondait à leur salut par une salve de toutes ses pièces.

— C’est Morgan ! s’écrièrent les aventuriers en battant joyeusement des mains.