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pour implorer un secours que malheureusement elle ne pouvait pas espérer.

— Que signifie cela ? s’écria le chef avec colère, d’où vient cet effroi que je t’inspire, jeune fille ?

Et il fit quelques pas pour se rapprocher d’elle.

— N’avancez pas ! n’avancez pas ! au nom du ciel ! s’écria-t-elle.

— Pourquoi ces grimaces ? tu es à moi, te dis-je, jeune fille ; bon gré mal gré, il faudra que tu cèdes à mes désirs !

— Jamais ! fit-elle avec angoisse.

— Allons donc ! dit-il ; je ne suis pas une face pâle, moi, les pleurs de femmes ne me font rien, je veux que tu sois à moi !

Il s’avança résolument vers elle.

La Linda, toujours plongée dans ses réflexions, semblait ne pas s’apercevoir de ce qui se passait auprès d’elle.

— Madame ! madame ! s’écria la jeune fille en se réfugiant à ses côtés ; au nom de ce qu’il y a de plus sacré sur la terre, défendez-moi, je vous en prie !

La Linda releva la tête, la regarda froidement et éclatant tout à coup d’un rire sec et nerveux qui glaça la pauvre enfant d’épouvante :

— Ne t’ai-je pas avertie de ce qui t’attendait ici ? dit-elle en la repoussant durement ; que ton sort s’accomplisse !

Doña Rosario lit quelques pas en arrière en trébuchant, les yeux hagards et le corps agité de mouvements convulsifs.

— Oh ! s’écria-t-elle d’une voix déchirante, maudite ! soyez maudite ! femme sans cœur !

— Allons, reprit Antinahuel avec fureur, finissons-en !

Il se précipita vers elle.

La malheureuse échappa encore à cette flétrissante atteinte.

C’était un horrible spectacle que celui de la scène qui se passait sous ce toldo.

Cette jeune fille qui fuyait ça et là, haletante et à demi-folle de frayeur devant cet Indien féroce qui la poursuivait ; et cette femme qui, tranquillement assise devant la porte dont elle barrait le passage, applaudissait aux efforts du misérable.

— Chienne ! s’écria tout à coup Antinahuel en s’adressant à la Linda, aide-moi au moins à la saisir.

— Ma foi non ! répondit en riant la courtisane ; cette chasse de la colombe par le vautour me divertit trop pour que je m’en mêle.

À cette réponse cynique, la fureur du chef ne connut plus de bornes ; d’un coup de pied il envoya la Linda rouler à dix pas au dehors, et s’élança d’un bond de jaguar sur sa victime qu’il arrêta par sa robe.

Doña Rosario était perdue.

Soudain elle se redressa, un éclair passa dans son regard, et fixant résolument son bourreau confondu :

— Arrière ! s’écria-t-elle en brandissant son poignard ; arrière, ou je me tue !

Malgré lui le misérable demeura immobile, cloué au sol.

Il comprit que ce n’était pas une vaine menace que lui faisait la jeune fille.