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Cette résolution bien gravée dans sa cervelle, Valentin l’exécuta en faisant rompre brusquement Louis avec sa vie passée ; pour le forcer à quitter la France il se servit du prétexte de son amour.

Nous disons que Valentin se servit du prétexte de l’amour de son frère de lait, parce qu’il était convaincu que jamais il ne retrouverait en Amérique cette femme qui, semblable à un éclatant météore, avait brillé quelques mois à Paris, puis s’était éclipsée brusquement.

Il se réservait, en mettant le pied sur le sol brûlant du Nouveau Monde, de faire oublier à Louis sa passion romanesque et de le lancer dans une voie où les péripéties fiévreuses de la vie d’aventures ne lui auraient pas laissé le temps de songer à l’amour, maladie, c’est ainsi que l’appelait Valentin, qui n’est bonne qu’à faire perdre à un homme le peu d’esprit que Dieu lui a donné.

Le hasard, qui se plaît toujours à déranger et à bouleverser les projets les mieux conçus et les plus solidement arrêtés, s’était diverti à renverser ceux-là, en jetant fortuitement, dès leur arrivée au Chili, la jeune fille que Louis aimait presque à sa tête.

Forcé de s’avouer vaincu, Valentin avait sagement courbé le front, attendant patiemment l’heure de prendre sa revanche et comptant sur la faiblesse de son ami et sur le temps pour le guérir d’un amour que doña Rosario, tout en le partageant, était la première à reconnaître impossible.

La révélation échappé à don Tadeo dans le paroxysme de la douleur, était une fois encore venue déranger toutes les batteries de Valentin et ruiner ses projets de fond en comble.

Alors une idée lumineuse avait, comme un jet de flamme, traversé le cerveau du jeune homme.

Il avait saisi avec ardeur l’occasion qui lui était offerte de se mettre à la recherche de doña Rosario, qu’il désirait ardemment sauver et rendre à son père.

Nous croyons inutile de dire que Valentin avait formé un nouveau plan, mais cette fois ce plan lui souriait infiniment, car, s’il réussissait, il lui fournissait les moyens de rendre son frère de lait au bonheur en lui donnant à la fois la fortune et celle qu’il aimait.

Le matin du jour où se livrait au cañon del Rio Seco le sanglant combat que nous avons décrit dans le précédent chapitre, Valentin et Trangoil Lanec marchaient côte à côte, suivis en serre-file par César.

Les deux hommes causaient entre eux tout en croquant une galette de biscuit qu’ils arrosaient de temps en temps avec un peu d’eau de smylax, contenue dans une gourde que Trangoil Lanec portait suspendue à sa ceinture.

La journée semblait devoir être magnifique, le ciel était d’un bleu transparent et les rayons d’un chaud soleil d’automne faisaient miroiter les cailloux de la route qu’ils suivaient.

À droite et à gauche, des milliers d’oiseaux, cachés dans le feuillage d’un vert d’émeraude des arbres, babillaient gaiement, et au loin quelques huttes apparaissaient çà et là groupées sans ordre sur le bord du chemin.