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lignes de son visage d’un blanc mat, légèrement doré par les chauds rayons du soleil américain, que les magnifiques tresses de ses cheveux noirs aux reflets bleuâtres encadraient délicieusement, ses grands yeux bleus ornés de longs cils veloutés, et couronnés de sourcils d’un arc parfait, son nez droit aux ailes mobiles et roses, sa bouche mignonne dont les lèvres d’un rouge de sang tranchaient admirablement avec ses dents d’un blanc de perle, il y avait dans cette splendide créature quelque chose de fatal qui faisait froid au cœur. La profondeur de son regard, le sourire ironique qui, presque toujours, contractait le coin de ses lèvres, le pli imperceptible qui formait sur son front une ligne dure et tranchée, tout chez elle, jusqu’au son mélodieux de sa voix au timbre fortement accentué, tuait la sympathie et commandait, pour ainsi dire, non pas le respect, mais la crainte.

Seule, dans cette chambre, à peine éclairée par la lueur tremblotante d’un flambeau, par cette nuit calme et silencieuse, en face de cet homme pâle et sanglant qu’elle considérait, les sourcils froncés, elle ressemblait, avec ses longs cheveux tombant en désordre de ses épaules sur sa robe blanche, à l’une de ces fatidiques sorcières thessaliennes, se préparant à accomplir une œuvre mystérieuse et terrible.

L’inconnu était un homme de quarante-cinq ans tout au plus, d’une taille haute, bien prise et parfaitement proportionnée. Ses traits étaient beaux, son front noble, et l’expression de son visage altière, franche et résolue.

La femme resta longtemps plongée dans une contemplation muette.

Son sein se soulevait précipitamment, ses sourcils se fronçaient de plus en plus, elle paraissait épier les progrès si lents du retour à la vie de l’homme qu’elle venait de sauver de la mort.

Enfin, la parole se fit jour à travers ses lèvres serrées, et elle murmura d’une voix basse et entrecoupée :

— Le voilà !… cette fois, il est bien en mon pouvoir !… consentira-t-il à me répondre ! Oh ! j’aurais peut-être mieux fait de le laisser mourir !

Elle s’interrompit et poussa un soupir, mais elle continua presque immédiatement :

— Ma fille ! ma fille dont cet homme s’est emparé ! que, malgré toutes mes recherches, il a su cacher dans un asile inviolable jusqu’ici ! Ma fille ! il faut qu’il me la rende ! je le veux ! ajouta-t-elle avec une énergie indicible ; il le faut ! dussé-je le livrer de nouveau aux bourreaux auxquels j’ai ravi leur proie ! ces blessures ne sont rien ; la perte de son sang et la terreur ont seuls causé l’évanouissement dans lequel il est plongé ! Allons ! le temps se passe ! on pourrait s’apercevoir de mon absence. Pourquoi hésiter davantage ? sachons de suite ce que j’ai à espérer de lui !… peut-être se laissera-t-il attendrir par mes larmes et mes prières… lui à qui tout sentiment humain est inconnu… mieux voudrait implorer l’Indien le plus implacable ! mais lui !… il rira de ma douleur ; il répondra par des sarcasmes à mes cris de désespoir ! oh ! malheur ! malheur à lui, alors !

Elle considéra encore un instant le blessé, toujours immobile, puis elle ajouta résolument :

— Essayons !