Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au cri de halte, proféré par le commandant des rangées sur la place, les moines s’écartèrent à droite et à gauche, sans interrompre leurs chants funèbres, et les condamnés restèrent seuls au milieu de l’espace laissé libre pour eux.

Ces hommes étaient des patriotes qui avaient tenté de renverser le gouvernement établi, pour lui en substituer un autre, dont les bases plus larges et plus démocratiques seraient, à leur sens, plus en rapport avec les idées de progrès et de bien-être de la nation.

Ces patriotes tenaient aux premières familles du pays.

La population de Santiago voyait avec un morne désespoir la mort de ceux qu’elle considérait comme des martyrs.

Il est probable qu’un soulèvement aurait eu lieu en leur faveur, si le général don Pancho Bustamente, ministre de la Guerre, n’avait pas déployé un appareil militaire capable d’en imposer aux plus déterminés et de les obliger à assister silencieux à l’exécution de ceux qu’ils ne pouvaient sauver, mais qu’ils se réservaient de venger plus tard.

Les condamnés mirent pied à terre, ils s’agenouillèrent pieusement, et se confessèrent aux moines de la Merci restés près d’eux, tandis qu’un peloton de cinquante soldats prenait position à vingt pas.

Lorsque leur confession fut achevée, ils se relevèrent bravement, et, se prenant tous par la main, ils se rangèrent sur une seule ligne devant les soldats désignés pour leur donner la mort.

Cependant, malgré le nombre considérable de troupes rassemblées sur la place, une sourde fermentation régnait dans le peuple. La foule s’agitait en sens divers ; des murmures de sinistre augure et des malédictions prononcées à voix haute contre les agents du pouvoir semblaient engager ceux-ci à en finir de suite, s’il ne voulaient pas se voir ravir leurs victimes.

Le général Bustamente qui, calme et impassible, présidait à cette lugubre cérémonie, sourit avec dédain à cette expression de la désapprobation populaire. Il leva son épée au-dessus de sa tête et commanda un changement de front qui fut exécuté avec la rapidité de l’éclair.

Les troupes firent face de tous les côtés à la foule ; les premiers rangs couchèrent en joue les citoyens pressés devant eux, tandis que les autres dirigèrent leurs fusils vers les fenêtres et les balcons encombrés de monde.

Alors, il se fit dans la place un silence de mort, qui permit de ne pas perdre un mot de la sentence lue par le greffier aux patriotes, sentence qui les condamnait à être passés par les armes, comme fauteurs ou complices d’une conspiration ayant pour but de renverser le gouvernement constitué et de plonger leur pays dans l’anarchie.

Les conjurés écoutèrent leur arrêt avec un visage impassible.

Lorsque le greffier, qui tremblait de tous ses membres, eut terminé sa lecture, ils s’écrièrent tous d’une seule voix :

— Vive la Patrie ! Vive la Liberté !

Le général fit un signe.

Un roulement de tambour couvrit la voix des condamnés.

Une décharge de mousqueterie éclata comme un coup de foudre.