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— Il serait possible !

— Mon Dieu, oui, il veut être là à toute heure afin de l’empêcher de communiquer avec personne, il le tuerait au besoin.

— Mais c’est infâme !

— C’est comme cela.

— Pouah ! cela donne des nausées.

— Attendez encore un instant avant de les avoir.

— Pourquoi donc ?

— Parce que, continua don Tadeo, en désignant le sénateur, nous avons encore quelqu’un ici.

Aussitôt que don Ramon avait vu le général quitter le salon, il avait abandonné son fauteuil et s’était avancé vers don Tadeo en le saluant.

— À qui ai-je l’honneur de parler ? lui demanda le Roi des ténèbres avec une politesse exquise.

— Monsieur, répondit l’autre avec un grand laisser-aller de gentilhomme, je me nomme don Ramon Sandias et je suis sénateur.

Don Tadeo salua.

— À quoi puis-je vous être bon, monsieur ? lui demanda-t-il.

— Oh ! répondit don Ramon avec suffisance, pour moi personnellement, je ne demande rien.

— Ah !

— Ma foi, non, je suis riche, que puis-je désirer de plus ? Mais je suis Chilien, bon patriote, monsieur, et qui plus est, sénateur. Placé dans des conditions exceptionnelles, je dois donner à mes concitoyens des preuves non équivoques de mon dévouement à la sainte cause de la liberté. N’êtes-vous pas de mon avis, monsieur ?

— Entièrement.

— J’ai entendu dire, monsieur, que le misérable Cabecilla, cause du mouvement qui a mis la République à deux doigts de sa perte, était entre vos mains,

— Effectivement, monsieur, répondit don Tadeo avec un imperturbable sang-froid, nous avons été assez heureux pour nous emparer de sa personne.

— Vous allez sans doute juger cet homme ? demanda don Ramon d’un ton doctoral.

— Sous quarante-huit heures, oui, monsieur.

— Bien, monsieur, c’est ainsi que justice doit être faite de ces agitateurs sans vergogne qui, au mépris des plus saintes lois de l’humanité, cherchent à plonger notre beau pays dans le gouffre des révolutions.

— Monsieur…

— Pardonnez-moi de parler ainsi, fit don Ramon avec un beau semblant d’enthousiasme, je sens que ma franchise va un peu loin peut-être, mais mon indignation m’entraîne, monsieur, il est temps que ces faiseurs de veuves et d’orphelins reçoivent le châtiment exemplaire qu’ils méritent, je ne puis songer, sans frémir, aux maux innombrables qui seraient tombés sur nous si ce misérable avait réussi.

— Monsieur, cet homme n’est pas encore jugé.

— Voilà justement ce qui m’amène, monsieur ; comme sénateur, comme