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Lorsque le silence fut complet, un sénateur qui tenait à la main un rouleau de papier, fit quelques pas en avant et se prépara à lire.

— Bah ! fit le général en l’arrêtant par le bras, pourquoi perdre votre temps à lire tout ce fatras ? laissez-moi faire.

Le sénateur, qui intérieurement ne demandait pas mieux que d’être dispensé de la commission épineuse dont il s’était chargé à son corps défendant, roula ses papiers et se retira en arrière.

Le général se campa fièrement sur la hanche, appuya la pointe de son épée sur le sol et dit d’une voix, qui fut parfaitement entendue de tous les coins de la place :

— Peuple de la province de Valdivia, le Sénat souverain, réuni en congrès à Santiago de Chile, a pris à l’unanimité les résolutions suivantes : 1o Les diverses provinces de la République chilienne se composeront des États indépendants réunis sous le titre de Confédération des États-Unis de l’Amérique du Sud ; 2o Le vaillant et très excellent général don Pancho Bustamente a été élu Protecteur de la Confédération chilienne. Peuple ! criez avec moi : Vive le Protecteur don Pancho !

Les officiers pressés autour du général et les soldats rangés sur la place, crièrent à pleins poumons :

— Vive le Protecteur !

Le peuple resta muet.

— Hum ! murmura le général à part lui, il n’y a pas un bien grand enthousiasme.

Un homme sortit alors du groupe réuni autour de la fontaine et s’avança résolument jusqu’à vingt pas des soldats.

Cet homme était don Tadeo de Leon ; son visage était calme, sa démarche assurée et tranquille.

Il fit un signe.

— Que voulez-vous ? lui cria le général.

— Répondre à votre proclamation, répondit le chef des Cœurs Sombres.

— Parlez ! je vous écoute, fit le général.

Don Tadeo s’inclina en souriant.

— Au nom du peuple chilien, dit-il d’une voix claire et accentuée, le Sénat de Santiago de Chile, composé de créatures vendues au tyran, est déclaré traître à sa patrie !

— Qu’osez-vous dire, misérable ! s’écria le général avec colère.

— Pas d’insultes et laissez-moi terminer la réponse que j’ai à vous faire, répondit froidement don Tadeo.

Le général, dominé malgré lui par le courage héroïque de cet homme qui seul, sans armes devant une triple rangée de fusils dirigés sur sa poitrine, osait parler de ce ton haut et ferme, vaincu par cet ascendant qu’exerce toujours un grand caractère, mordait avec rage le pommeau de son épée.

— Au nom du peuple, continua don Tadeo, toujours calme et impassible, don Pancho Bustamente est déclaré traître à la patrie, et, comme tel, déchu de ses titres et de son pouvoir. Vive la liberté ! vive le Chili !