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— Oui, cette femme se nomme je crois, dona Rosario de Mendoz, c’est, dit-on, une adorable créature.

Ce nom jeté ainsi froidement produisit sur le chef l’effet d’un coup de foudre ; il se leva d’un bond, et le visage enflammé, l’œil étincelant :

— Rosario de Mendoz ! dites-vous, ma sœur ! s’écria-t-il.

— Mon Dieu, je ne la connais pas, répondit-elle, j’ai seulement entendu prononcer son nom, je crois effectivement qu’elle se nomme ainsi ; mais, ajouta-t-elle, quel intérêt prend donc mon frère ?…

— Aucun, interrompit-il.

Il reprit sa place.

— Pourquoi ma sœur ne se venge-t-elle pas de l’homme qui l’a abandonnée ?


— À quoi bon ? et puis, quelle vengeance puis-je espérer ? je ne suis qu’une femme faible et craintive, sans ami, sans appui, seule enfin.

— Et moi, dit le chef, que suis-je donc ?

— Oh ! dit-elle vivement, je ne veux pas que mon frère se fasse le vengeur d’une insulte qui m’est personnelle.

— Ma sœur se trompe ; en attaquant cet homme c’est ma propre insulte que je vengerai.

— Que mon frère s’explique, je ne le comprends pas.

— C’est ce que je veux faire.

— J’écoute.

En ce moment la mère de Antinahuel entra dans le toldo, et s’approchant du chef :

— Mon fils a tort de rappeler d’anciens souvenirs et de r’ouvrir de vieilles blessures, dit-elle avec tristesse.

— Femme ! retirez-vous, répondit l’Indien, je suis un guerrier, mon père m’a légué une vengeance, j’ai juré, j’accomplirai mon serment.

La pauvre Indienne sortit en poussant un soupir.

La Linda, dont la curiosité était éveillée au plus haut point, attendait avec anxiété que le chef s’expliquât.

Au dehors la pluie tombait en crépitant sur les feuilles des arbres, par instants un souffle de vent nocturne, chargé de rumeurs incertaines, arrivait en sifflant à travers les ais mal joints du toldo et faisait vaciller la torche qui l’éclairait.

Les deux interlocuteurs, perdus dans leurs réflexions, prêtaient malgré eux l’oreille à ces bruits sans nom, et sentaient une immense tristesse envahir leur esprit.

Le chef releva la tête, et aspirant coup sur coup plusieurs goulées de fumée de son pajillo qu’il jeta brusquement, il commença d’une voix basse :

— Bien que ma sœur soit presque un enfant de la maison, puisque ma mère l’a élevée, jamais elle n’a connu l’histoire de ma famille ; cette histoire que je vais lui dire lui révélera que j’ai contre don Tadeo de Leon une vieille haine toujours vivace, et que si jusqu’à présent j’ai paru la mettre en oubli, je ne l’ai fait que parce que cet homme était le mari de ma sœur ; la conduite de