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chiez mon nom, que j’ai oublié de vous dire jusqu’à présent.

— Que cela ne vous inquiète pas, je saurai bien vous en donner un si par hasard vous avez des raisons pour garder l’incognito.

— Je n’en ai aucune ; je me nomme le comte Louis de Prébois-Crancé[1].

Belhumeur se leva comme poussé par un ressort, ôta vivement son bonnet de fourrure, et s’inclinant respectueusement devant son nouvel ami :

— Pardonnez-moi, monsieur le comte, dit-il, la façon un peu libre dont je vous ai parlé ; si j’avais su avec qui j’avais l’honneur d’être, certes je n’aurais pas pris d’aussi grandes libertés.

— Belhumeur, Belhumeur, fit le comte avec un sourire triste en lui saisissant vivement la main, est-ce donc ainsi que doit commencer notre liaison ? Il n’y a ici que deux hommes prêts à partager la même vie, courir les mêmes dangers, affronter les mêmes ennemis ; laissons aux sots habitants des villes ces distinctions stupides qui n’ont pour nous aucune signification ; soyons franchement et loyalement frères. Je ne veux être pour vous que Louis, votre bon compagnon, votre ami dévoué, de même que vous n’êtes pour moi que Belhumeur, le rude coureur des bois.

Le visage du Canadien s’épanouit de plaisir à ces paroles.

— Bien parlé, dit-il gaiement, bien parlé, sur mon âme. Je ne suis qu’un pauvre chasseur ignorant, et, ma foi, pourquoi le cacherais-je ? ce que

  1. Voir le Grand chef des Aucas, 1 vol. in-12, Amyot, éditeur.