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Le cavalier, sans doute pressé d’atteindre le but d’une course qui n’était pas sans péril à cette heure avancée, excitait incessamment de la voix et de l’éperon sa monture, qui ne paraissait pas cependant avoir besoin de ces exhortations sans cesse renouvelées.

Le cavalier avait presque traversé les landes incultes et était sur le point de s’engager dans les bois épais d’arbres du Pérou qui avoisinent le Rancho, lorsque tout à coup son cheval fit un bond de côté et s’arquebouta fortement sur les quatre pieds en reculant et couchant les oreilles.

Un bruit sec annonça que le cavalier avait armé ses pistolets ; puis cette précaution prise à tout hasard, il jeta un regard investigateur autour de lui.

— Ne craignez rien, caballero ! cria une voix franche et sympathique ; seulement obliquez un peu à droite, si cela vous est égal.

L’inconnu regarda et vit presque sous les pieds de sa monture un homme agenouillé et tenant dans ses mains la tête d’un cheval gisant en travers de la route.

— Que diable faites-vous là ? dit-il.

— Vous le voyez, répondit l’autre avec tristesse, je fais mes adieux à mon pauvre compagnon ; il faut avoir vécu longtemps au désert pour comprendre le prix d’un ami comme celui-là.

— C’est vrai, fit l’étranger ; et mettant immédiatement pied à terre : Est-il donc mort ? ajouta-t-il.

— Non, pas encore ; mais, malheureusement, il n’en vaut guère mieux.

Et il soupira.

L’étranger se pencha sur l’animal, dont le corps était agité de frémissement nerveux, lui écarta les paupières et le considéra attentivement.