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Le capataz se recueillit un instant ; chacun attendait avec anxiété qu’il s’expliquât ; Cucharès surtout était en proie à une émotion qu’il ne parvenait que difficilement à dissimuler,

Blas Vasquez reprit enfin la parole, en dirigeant avec une étrange fixité son regard sur le comte de Lhorailles, qui malgré lui commençait enfin à comprendre qu’il était, lui et les siens, victime d’une odieuse trahison.

Señor conde, dit Blas Vasquez, nous autres Mexicains, nous avons une loi dont nous ne nous départons jamais, loi qui est, du reste, écrite dans le cœur de tous les honnêtes gens, c’est celle-ci : de même que le pilote est responsable du navire qu’il est chargé de conduire à bon port, de même le guide répond corps pour corps du salut des gens qu’il se charge de guider dans le désert. Ici, il n’y a pas de discussion possible ; de deux choses l’une : ou le guide est ignorant, ou il ne l’est pas ; s’il est ignorant, pourquoi, contre l’avis de tout le monde, nous a-t-il contraints à entrer dans le désert en assumant sur lui seul la responsabilité de notre voyage ? Pourquoi, s’il ne l’est pas, ne nous a-t-il pas fait traverser le désert ainsi qu’il s’y était engagé, au lieu de nous faire errer à l’aventure à la recherche d’un ennemi qui, il le sait aussi bien que nous, ne stationne pas dans le del Norte, qu’il traverse au contraire de toute la vitesse de son cheval, lorsqu’il est contraint de s’y engager. Sur le guide seul doit donc peser le blâme de tout ce qui nous arrive, parce que c’est lui qui, maître des événements, les a disposés à son gré.

Cucharès, de plus en plus troublé, ne savait plus