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— Croyez-vous que nous atteindrons l’hacienda sans être découverts ?

— C’est ce que nous allons tenter.

— Oui, et comme nous ne réussirons pas, ces démons de Français qui sont aux aguets nous prendront pour des sauvages et nous fusilleront bel et bien.

— C’est une chance à courir.

— Merci ! je préfère rester ici : car, je l’avoue, je ne suis pas encore assez fou pour aller, de gaieté de cœur, me jeter dans la gueule du loup ; allez-y si bon vous semble ; pour moi, je reste.

Le Tigrero ne put réprimer un sourire.

— Le danger n’est pas aussi grand que vous le supposez, dit-il ; nous sommes attendus à l’hacienda par quelqu’un qui aura sans doute éloigné les sentinelles de l’endroit où nous aborderons.

— C’est possible, mais je préfère ne pas en faire l’expérience ; car une balle ne pardonne pas ; avec cela que ces diables de Français tirent juste à faire frémir.

Le Tigrero ne répondit pas, il ne sembla même pas avoir entendu l’observation de son compagnon ; son esprit était ailleurs. Le corps penché en avant, il écoutait.

Depuis quelques minutes, le désert prenait une apparence singulière ; il se réveillait, des bruits sans nom sortaient des profondeurs des fourrés et des clairières ; des animaux de toutes sortes s’élançaient du couvert et passaient éperdus auprès des deux hommes sans les voir ; les oiseaux, réveillés dans leur premier sommeil, s’élevaient en poussant des cris aigus et volaient en long cercles dans les airs ;