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L’ÉCLAIREUR.

en songeant à la situation périlleuse dans laquelle il allait se mettre et aux conséquences terribles qu’aurait pour lui la découverte de sa personnalité par les Indiens. Cependant il se roidit contre cette émotion qui l’agitait sourdement et parvint à reprendre assez de puissance sur lui-même pour affecter une tranquillité et une indifférence qui étaient bien loin de son esprit.

Les deux hommes marchaient silencieusement côte à côte ; le chasseur, craignant que ce mutisme prolongé n’inspirât à son guide des soupçons de quelque nature qu’ils fussent, résolut de l’obliger à causer, afin de donner à ses pensées un cours différent de celui qu’il redoutait de leur voir prendre.

— Mon frère a beaucoup voyagé ? lui demanda-t-il pour entrer en matière.

— Quel est le guerrier appartenant à notre race dont la vie ne s’est pas écoulée dans de longues courses ? répondit sentencieusement l’Indien. Les faces pâles, mon père le sait mieux que moi, nous pourchassent comme des bêtes fauves et nous obligent à nous retirer incessamment devant leurs empiétements successifs.

— C’est vrai, fit le chasseur en hochant mélancoliquement la tête. Dans quel désert assez ignoré nous est-il permis aujourd’hui de cacher les os de nos pères, avec la certitude que la charrue des blancs ne viendra pas les broyer en traçant son interminable sillon et les disperser dans toutes les directions ?

— Hélas ! reprit Atoyac, la race rouge est maudite : un jour viendra où on la cherchera vainement dans les plaines immenses où jadis elle était plus nombreuses que les brillantes étoiles qui tapissent le dôme du ciel ; car elle est fatalement condamnée à disparaître de la surface du monde ; les visages pâles ne sont que les instruments terribles de la