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L’ÉCLAIREUR.

coulait décuplait encore, le malheureux galoppait à l’aventure, sans but et sans pensée, ne suivant aucune direction, mais fuyant tout droit devant lui, poursuivi par le fantôme hideux de la mort qui, pendant une heure longue comme un siècle, s’était penchée sur son épaule et avait déjà tendu son bras de squelette pour le saisir, lorsqu’un hasard miraculeux lui avait tout à coup, à la dernière et suprême minute de son agonie, envoyé un libérateur.

Don Estevan, au fur et à mesure que la lucidité rentrait dans son cerveau, que le calme renaissait dans sa pensée, redevenait l’homme qu’il avait toujours été, c’est-à-dire le scélérat implacable si justement condamné et exécuté par la loi de Lynch. Au lieu de reconnaître dans sa délivrance le doigt tout-puissant de la Providence qui voulait ainsi lui entr’ouvrir les voies du repentir, il ne vit qu’un fait matériellement accidentel et n’eut plus qu’une pensée, celle de se venger des hommes qui l’avaient abattu et lui avaient posé le pied sur la poitrine.

Combien d’heures galoppa-t-il ainsi dans les ténèbres, roulant dans sa tête des projets de vengeance et jetant au ciel d’ironiques regards de défi, nul ne saurait le dire. La nuit tout entière s’écoula dans cette course furibonde, le lever du soleil le surprit à une longue distance du lieu où il avait subi sa sentence.

Il s’arrêta un instant afin de remettre un peu d’ordre dans ses idées et de jeter un regard autour de lui.

Les arbres assez clairsemés à l’endroit où il se trouvait ; laissaient découvrir entre leurs troncs éloignés les uns des autres, à peu de distance en avant, une campagne nue terminés au loin par de hautes montagnes dont les cimes bleuâtres se confondaient à l’horizon avec le ciel ; une rivière assez large coulait silencieuse entre deux rives escarpées et dénuées de végétation.

Don Estevan poussa un soupir de soulagement ; en sup-