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Bien qu’ils mangeassent en véritables chasseurs, c’est-à-dire de bon appétit et sans perdre une bouchée, cependant il était facile de deviner que nos personnages étaient sous le coup d’une préoccupation sérieuse ; leurs yeux erraient sans cesse autour d’eux, furetant dans l’ombre et cherchant à percer les ténèbres. Parfois, la main s’arrêtait à moitié chemin de la bouche, le morceau de tasajo restait suspendu ; de la main gauche, ils cherchaient instinctivement leur rifle posé à terre auprès d’eux ; ils tendaient le cou en avant et écoutaient attentivement, analysant et décomposant dans leur esprit ces mille bruits sans nom des grands déserts américains, qui tous ont une cause et sont un infaillible avertissement pour l’homme qui sait les comprendre.

Cependant le repas s’acheva.

Don Cornelio avait saisi sa jarana, mais sur un geste de Louis, il la reposa à terre, s’enveloppa dans son zarapé et s’étendit sur le sol.

Valentin réfléchissait profondément, Louis s’était levé, et appuyé contre un pan de mur, il regardait attentivement au dehors.

Un laps de temps assez long s’écoula ainsi sans qu’une parole fût échangée.

Louis vint enfin se rasseoir auprès du chasseur.

— C’est étrange ! dit-il.

— Quoi ? répondit distraitement Valentin.

— L’absence prolongée de Curumilla ! voilà près de trois heures qu’il nous a quittés sans nous en dire la raison, et il n’est pas encore de retour.

— Le soupçonnerais-tu ? fit le chasseur avec une certaine amertume.

— Frère, reprit Louis, tu es injuste en ce mo-