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sur sa volonté et se reprochait-il comme une faiblesse indigne de son caractère la réaction que cet amour avait opérée dans son cœur, en l’obligeant à reconnaître qu’il lui était possible encore d’être heureux.

Louis était loin de former exception dans la grande famille humaine. Tous les hommes sont de même : lorsqu’ils ont intérieurement arrangé leur vie sous l’influence d’un sentiment quelconque soit de joie, soit de douleur, ils se complaisent dans le développement continuel de ce sentiment, en forment une partie de leur être, se retranchent derrière lui comme au fond d’une citadelle inexpugnable ; et lorsque, par un choc inattendu, l’édifice qu’ils ont mis tant de soin à construire vient tout à coup à crouler, ils s’en veulent à eux-mêmes de ne pas avoir su se défendre, et par contre-coup ils s’en prennent à la cause innocente de ce grand cataclysme intérieur.

Tout en réfléchissant, le comte avait laissé tomber sa tête sur la poitrine, s’isolant dans ses pensées et se plongeant de plus en plus dans sa sombre rêverie, suivant instinctivement la pente sur laquelle glissait en ce moment son esprit ; il leva les yeux et fixa sur doña Angela un regard où tous les sentiments qui l’agitaient se reflétaient à la fois.

La jeune fille était renversée en arrière, le visage caché dans ses mains ; entre ses doigts effilés des larmes coulaient lentement, semblant une rosée de perles.

Elle pleurait doucement et sans bruit ; sa poitrine se soulevait convulsivement ; elle paraissait en proie à une douleur intense.

Le comte pâlit ; il se leva vivement et fit un pas vers elle.