Page:Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874.pdf/57

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LXXVI.

Le jardinier curieux de ses fleurs,
De jour en jour beant leur accroissance,
Ardent les voit, & les espie, & pense
Qu’elles ont trop encoffré leurs couleurs ;

Mais lorsqu’au lict il endort ses labeurs,
Son jardin fait, ce semble, en son absence
Plus de profit que quand par sa presence
Il amusoit des herbes les rigueurs ;

J’en suis ainsi m’esloignant de mon feu :
Je l’ai trouvé en mon repos accreu.
Comme il est né s’accroissant de paresse

Sans moy, sur moy il monstre ses efforts,
Il me poursuit lors que je le delaisse,
C’est un malheur qui veille quand je dors.


LXXVII.

Je desploroy’ le sort d’une branche orpheline
D’un saulle my-mangé que la rustique main
Faisoit servir d’appuy à un sep inhumain
Ingrat de ce qui l’ha preservé de ruyne.

La mort proche l’asseche, & du sep la racine
Luy oste la substance encor, il pousse en vain
Les cyons malheureux qu’un trop chaud lendemain
Ou un bize trenchant en un coup extermine.

Las ! je t’immortalise, & te deffends du port
De l’oubly tenebreux, tu me donnes la mort,
Faisant fener, mourir ma tendrette esperance :

Quand sans espoir j’espere une fin à mes pleurs,
Tu me meurtris, ingratte, au jour de ma naissance,
Des ventz de mes souspirs, des feux de mes douleurs.