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LX.

Je despite à ce coup ton inique puissance,
O nature cruelle à tes propres enfantz,
Terre yvre de mon sang, ô astres rougissantz,
Bourreaux du ciel injuste, avecq’ leur influence

Je n’ay peur d’eschauffer sur mon outrecuidance
Vostre aveugle fureur, vos courroux impuissantz.
Ils sont sourds, je le sçay, car mes souspirs cuisantz
N’ont peu impetrer d’eux une povre audience ;

Si en les diffamant je les puis faire ouyr,
J’auray en les faschant de quoy me resjouir :
Ils entendront de moy tant d’estranges desastres

Contraires au destin, contraires à leurs cours,
Qu’au lieu d’estre ennemis, j’auray à mon secours
La nature, la terre, & le ciel & les astres.


LXI.

Si ceux là sont damnez qui, privez d’esperance,
Sur leur acier sanglant vaincus se laissent choir,
Si c’est damnation tomber en desespoir,
Si s’enferrer soy mesme est une impatience,

N’est-ce pas se damner contre sa conscience,
Avoir soif de poison, fonder tout son espoir
Sur un sable mouvant ? hé ! où peut il avoir
Pire damnation, ny plus aigre sentence ?

Un mesprisé peut il craindre son dernier jour ?
Qui craint Minos pour juge aprés l’injuste amour ?
Desdaigné que je suis, comment pourroy-je craindre

Une roche, un Caucase, un autour outrageux,
Au prix de mes tormentz ? Je meurs pour avoir mieux,
Puisque de deux malheurs il faut choisir le moindre.