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XLVIII.

J’avoy’ juré ma mort & de mes tristes jours
La desirable fin, lorsque de ta presence
Je me verroy’ banny. Sus donc, Aubigné, pense
A te priver du jour, banny de tes amours !

Mais mourir c’est trop peu, je veux languir tousjours,
Boire & succer le fiel, vivre d’impatience,
M’endormir sur les pleurs de ta meurtriere absence,
M’estranger du remede & fuïr mon secours.

N’est-ce pas bien mourir, me priver de ma vie ?
Je ne vy’ que de toy, je n’ay donc pas envie
De vivre en te laissant, encores je me vouë

A la plus rude mort qui se puisse esprouver ;
C’est ainsi qu’on refuze un coup pour achever
Au condamne qui doibt languir sur une rouë.


XLIX.

Si tost que l’amour eust emprissonné mon ame
Soubz les estroittes loix d’une grande beauté,
Le malheur qui jamais ne peut estre dompté
Acheva de tout point mon torment, & fa flamme :

L’un retint mon esprit à jamais prés ma dame,
L’autre arrache le corps, çà & là tormenté.
Iniquité cruelle, inique cruauté
Qui deux poinctz tant unis en deux moitiez entame !

Voila comment je fay’ d’un exil envieux
Mes sens nuds de vigueur, sans leur regard mes yeux,
Et chasque part de moy est à part inutile.

Si le sang & le cœur ne vivent plus dehors,
Si l’esprit separé ne sert de rien au corps,
Qui dira que l’exil n’est une mort civile ?