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réflexions porteront un tel cachet de sincérité et d’impartialité, que vous ne pourrez leur refuser quelque attention. J’ose même espérer qu’elles vous inviteront à examiner de nouveau par vous-même une situation dont vous ne paraissez pas, dans un premier ébranlement bien naturel avoir envisagé avec assez de calme l’inéluctable rigueur.

Vous me pardonnerez une apparente rudesse. Je fais assez d’estime de votre jeune courage ; la France, dans son équité bienveillante, nourrit de vous une opinion assez favorable, pour qu’il me semble superflu d’user de circonlocutions, d’équivoques, de réticences. Je crois, d’ailleurs, vous rendre un hommage et un service, en faisant arriver jusqu’à vous par la seule voie possible, en l’absence de tous rapports directs ou indirects, une parole sévère peut-être, mais, demeurez-en convaincu, la mieux intentionnée, la plus compatissante qui fut jamais.

Ce que vous avez à redouter aujourd’hui, ce n’est pas la haine de vos ennemis, c’est l’infatuation, c’est l’aveuglement de vos amis. Vos ennemis ! qu’ai-je dit là ? Vous n’en avez point ; vous n’en sauriez avoir. Le peuple, en renversant te trône de votre père, n’a obéi à aucune haine individuelle ou, du moins, s’il a maudit un pouvoir oppresseur concentré en une volonté unique, ce n’était pas vous, prince, qu’il accusait.

Vos seuls ennemis, mais funestes, mais acharnés et habiles à vous nuire, je vous le disais à l’instant, ce sont vos amis. Ne prenez point ceci pour un paradoxe ; une courte explication va nous mettre d’accord. Vos partisans n’ont jamais rien compris, et j’affirme qu’ils ne comprendront jamais rien au génie de la France moderne. Cette immense transformation de l’ordre ancien ; cette métamorphose qui s’accomplit sous nos yeux, en parfaite conformité avec les lois de développement phobique et moral du monde ; cette émancipation d’une grande moitié de la famille humaine, préparée, conduite depuis des siècles par la philosophie, par la science, par la politique, vous savez mieux que moi comment les partis la jugent. Selon les vues bornées de leur orgueil en déroute, la révolution de Février, par exemple, n’est autre chose qu’un coup de main, un accident fortuit, que la plus minime circonstance, votre présence à Paris, je