Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 2.djvu/574

Cette page a été validée par deux contributeurs.
570
DOCUMENTS HISTORIQUES.


VI


extrait d’une lettre de m. louis blanc.


Je ne sais vraiment pas où Garnier-Pagès a vu que je soutenais le système des associations forcées. Dans la réunion chez M. Marie, qu’il mentionne (t. IV, p. 89-94), la question ne porta point du tout sur le choix à faire entre les associations forcées et les associations libres ou volontaires. La question était celle-ci : MM. Corbon, Marie, Garnier-Pagès, Marrast étaient d’avis qu’on encourageât les ouvriers qui voudraient se former en associations, mais en ayant grand soin de renfermer l’encouragement dans le cercle des efforts privés et en repoussant toute intervention bienveillante de l’État. Moi, au contraire, je prétendais que si le principe d’association est reconnu salutaire, propre à élever le moral du travailleur et à influer heureusement sur l’activité sociale, il n’y a pas de raison pour que l’État, en tant qu’il représente la société, soit condamné à se croiser les bras là où l’initiative de M. tel ou tel est invoquée. Donc, sans repousser en aucune sorte l’initiative individuelle, je demandais que l’initiative sociale ne fût point exclue.

Autre question : Ces messieurs voulaient que l’appui donné aux associations fût inconditionnel et sans rapport avec un but général à atteindre. Moi, au contraire, je disais : « S’il est bon que l’application du principe d’association soit encouragé, ce n’est point parce qu’il en peut résulter un accroissement de bien-être pour tels ou tels ouvriers en particulier, mais bien parce que l’association est un moyen pour la classe ouvrière en général d’arriver graduellement à s’affranchir. Si tels et tels ouvriers se forment en association, ici ou là, dans l’unique but de grossir leurs petits profits particuliers, sauf, quand ils seront riches, s’ils le deviennent, à prendre eux-mêmes à leur service des ouvriers et à se faire bourgeois, qu’y aura-t-il de gagné ? À côté de certaines associations qui se seront ruinées, quelques autres auront réussi peut-être, comme il y a aujourd’hui des boutiques qui prospèrent à côté d’autres qui succombent. Les plus habiles ou les plus heureux auront trouvé moyen de passer d’une classe dans une classe supérieure, du haut de laquelle ils mépriseront d’autant ceux qui seront restés en bas, selon l’usage presque invariable des parvenus. Et la société n’aura pas fait un pas en avant. La grande question est donc, tout en encourageant les essais partiels d’association, d’aviser à un moyen de rendre général le caractère de ces essais partiels ; la grande question est de faire que chaque association se considère comme partie d’un tout, et ne soit point poussée par l’égoïsme à séparer son intérêt de celui de la masse des travailleurs. Pour cela, que faut-