Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 2.djvu/427

Cette page a été validée par deux contributeurs.
423
DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Sur beaucoup de barricades, à la place du drapeau tricolore des ateliers nationaux, qui n’a aucun sens, on arbore le drapeau rouge, devenu, depuis le 26 février, le signe de protestation du prolétariat. En réponse aux proclamations du général Cavaignac, les ouvriers placardent sur les murailles un appel aux armes dans lequel ils disent qu’ils veulent la république démocratique et sociale[1]. L’insurrection se déclare : elle a désormais, si ce n’est un chef, du moins un nom et un caractère. Elle prend en quelque sorte conscience d’elle-même.

Le général Cavaignac, instruit par des rapports circonstanciés de ces dispositions du peuple, en conçoit de vives appréhensions. Il n’a pas fermé l’œil de la nuit. Son organisation très-nerveuse le fait souffrir plus qu’un autre de tout ce qui est incertitude et lenteur. Les hommes auprès desquels, en communiquant librement ses pensées, il trouverait l’appui moral dont il a besoin, les généraux Lamoricière, Bedeau, Damesme sont loin de lui. Il ne voit que des officieux, des importants, des gens troublés par la peur. Il vient d’apprendre, et sa colère n’a pu se contenir, que M. Thiers, dans une délibération de trois cents représentants de la droite, réunis dans l’ancienne Chambre des députés, s’étant levé précisément à la place, qu’il occupait naguère, au banc des ministres, y a tenu un long discours pour blâmer les dispositions militaires prises depuis le 23. L’historien de l’Empire a particulièrement désapprouvé l’emploi de la cavalerie dans les rues, et, après avoir démontré à son auditoire l’impossibilité stratégique de résister au peuple, il a offert de porter à M. Senard l’avis, que celui-ci transmet au général Cavaignac, d’abandonner Paris à l’insurrection et de se retirer dans quelque ville de province. On conçoit que de pareils avis et de telles critiques achèvent d’exaspérer le général Cavaignac[2]. La

  1. Voir, aux Documents historiques, à la fin du volume, no 17.
  2. Il est juste de dire que, le lendemain, M. Thiers changeait d’avis. Après avoir passé quelques heures auprès du général Lamoricière, il