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INTRODUCTION.

L’auteur du Voyage en Icarie, M. Cabet, l’apôtre moderne d’un communisme instinctif et populaire, et ses disciples avec lui, font gloire de ne tenir nul compte de cette civilisation au milieu de laquelle ils apparaissent comme un phénomène bizarre. S’autorisant des pratiques de la primitive Église, ils prêchent le retour à la pure morale évangélique, l’imitation du Christ, le renoncement volontaire aux richesses personnelles. Ils posent en principe l’administration par l’État de la fortune sociale, répartie à chaque membre de la société, non plus suivant sa capacité, mais suivant ses besoins, ce qui renverse de fond en comble la dernière des inégalités, celle qui résulte de la disproportion des intelligences entre elles, et s’attaque ainsi non plus seulement aux lois de la société, mais à celles de la nature.

L’apostolat de M. Cabet, éminemment pacifique, ne voulant agir que par insinuation et se fiant volontiers à l’avenir, se distingue du communisme matérialiste des sectateurs de Babœuf, en ce que ceux-ci veulent opérer immédiatement, sans transaction ni conciliation, par la violence s’il le faut, l’abolition de la propriété qui, dans l’Icarie de M. Cabet, subit de lentes transformations, à mesure que l’opinion y donne son assentiment. Vagues aspirations d’une sensibilité exaltée, ébauches confuses d’une société chimérique, les théories icariennes n’auraient nulle valeur si elles ne se présentaient comme un caractère symptomatique de la maladie morale qui mine la société moderne.

Toute protestation, si aveugle qu’elle paraisse, s’attaque à un vice réel. Le vice de la bourgeoisie par-