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une fente de glace et qu’un mouvement fait mal-à-propos pouvait rompre la neige qui nous soutenait encore. L’autre guide qui nous précédait d’un ou deux pas, et qui ne s’était point enfoncé, demeura fixe dans la place où il se trouvait : Pierre, sans sortir non plus de sa place, lui cria de tâcher de reconnaître de quel côté courait la fente et dans quel sens était sa moindre largeur ; mais il s’interrompait à chaque instant pour me recommander de ne faire aucun mouvement. Je lui protestai que je resterais parfaitement immobile, que j’étais absolument calme, et qu’il n’avait qu’à faire, comme moi, avec tout le sang-froid possible, l’examen des moyens de sortir de cette position. J’avais besoin de lui donner cette assurance, parce que je voyais ces deux guides dans une si grande émotion, que je craignais qu’ils ne perdissent la tête. Nous jugeâmes enfin que la route que nous suivions au moment de notre chute coupait transversalement la fente ; et j’en avais déjà presque la certitude en ce que je sentais la pointe de mon pied gauche, qui était en avant, appuyer contre de la neige, tandis que le droit ne portait sur rien du tout. Quant à Pierre, ses deux pieds portaient l’un et l’autre à faux : la neige s’était même enfoncée entre ses jambes, et il voyait par cette ouverture sous lui et sous moi le vide et le vert foncé de l’intérieur de la fente ; il n’était soutenu que par la neige sur la-