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LOI DIVINE


eux, à leur esprit je couperai lu respiration, avec mon esjjrit : ainsi le veut mon avenir.

Eb vérité, Zarathoustra est un vent fort pour tous les bas-fonds ; et il donne ce conseil à ses ennemis et ù tout ce qui crache et vomit : « Gardez-vous dé cracher contre le vent ! »

Ainsi parlait Zarathoustra.

{Ainsi parlait Zarathoustra, U, d ; trad. Henri Albert.)

Ici, nous céderons la parole à un critique écrivant quelques mois seulement avant la mort de Nietzsche, M. Léonce de Gra.vdmaison, La religion de l’égoisme. — Etude sur Frédéric j’ietzsche. Eludes, t. LXXXI, p. 798-S ! ’;, 20 déc. 1899.

" Le titre du livre et le nom du liéros nous transportent dans l’Iran antique : Zarathoustra — c’est notre Zoroastre — est un sage qui s’est convaincu, par l’examen de l’univers et de l’homme actuel, et de la vanité de toute religion, et de l’impuissance de l’homme tel qu’il est à rendre sa vie meilleure. Retiré sur une montagne solitaire, il a vii, au cours de dix fécondes années, que l’homme seul, mais l’homme pleinement développé, le Surhomme, était la (leur et

« la raison d’être de la terre ». Un impérieux besoin

le saisit alors de faire part aux autres de la découverte, de leur apprendre à reviser la « table des valeurs » que la peur et la médiocrité ont dressée pour les actions humaines, et il descend dans la plaine. Ses enseignements, ses luttes contre tous les restes des croyances « idéalistes » et » pessimistes », les épreuves qui lui viennent de l’insuinsance de ses auditeurs et de sa pitié pour eux, tel est le sujet de ce poème, qu’on regarde justement comme l’œuvre capitale de » ietsche.

u Ecrit d’un accent sibyllin, obscur par profusion d’images, Ainsi parla Zarathoustradéconcerle, méine en pages choisies, les esprits accoutumés à la clarté, à la mesure de nos poètes français. Mais il n’est que juste d’y reconnaître des beautés de premier ordre, de celles qu’on admire dans les Paroles d’un croyant, j’allais dire : dans la Divine Comédie… qu’on en juge (([ « partie, i ; ibid., g). — Nietzsche ne s’en tint pas à la forme poétique ; en deux écrits d’une forme plus abstraite, Par delà le bien et le mat et La Généalogie de la morale, il donna, de son Zarathoustra, une sorte de commentaire philosophique. Le poète avait jeté dans les abiuies, en inspiré, en prophète, avec des imprécations passionnées, l’antique iahle des valeurs, celle du bien en soi et des morales objectives ; le philosophe en retrouve les débris et s’acharne à les réduire en poussière. Pour lui, non seulement les échappées furtives vers la foi chrétienne, non seulement la foi scientilique des « soi disant esprits libres.>, mais l’allitude expectaute elle-même des positivistes les plus abstinents, témoigne dun reste inavoué » d’une foi en la valeur met 1 physique, une valeur en sdI de la vérité », puisque aussi bien s’abstenir de prononcer sur la vérité objective d’un Au-delà, c’est lui reconnaître « le droit à l’existence ».

C’est toujours une croyance métaphysique, sur lacpielle est fondée notre foi dans la science : nous aussi les penseurs d’aujourd’hui, les athées, les a ntiniétaphjsiciens, nous aussi nous eniprunlons cette foi qui nous anime à cet incendie qu’une croyance plusieurs fois millénaire a allumé, fi cette foi chrétienne (qui fut aussi la foi de PlatonI que Dieu est la Vérité et que la vérité est divine… Pour ce rôle (d’antagoniste nnturel rle l’idéal ascétique de la foi chrétienne), la science n’est pus assez autonome ; elle a besom elle-même, f » tous égards, d’une valeur idéale, d’une puissarjcc créatrice de valeurs qu’elle puisse servir et qui lui donne la fol en elle-même.. — La science et l’idéal ascétique se tiennent tous deux sur un seul et même terrain, … dans une foi commune que la vérité est inestimable, incriliqnablo… Toute science (et non |>as seulement l’astronomie, sur l’inQuence humiliante et déprimante de laquelle Kant nous a laissé ce remarquable I

aveu : a Elle anéantit mon importance » !, toute science naturelle ou conircr natere — j’appelle ainsi la critique de la raison par elle-même — travaille aujourd’hui à détruire enrhumiiiel’antique respect de soi… Est-ce là, en réalité, travailler contre l’idéal ascétique.’… » (La Genéalcie de la morale, XXIV-XXV (1883). Trad. Lichte.nbergek ;)

a Et les kantistes, les positivistes de toute nuance, les agnostiques « qui adorent comme Dieu le point d’interrogation lui-même », sont impitoyablement flagellés. Et il faut avouer que cette intransigeante logique n’a pas tort sur tous les points…’< Cependant, à l’exception de quelques esprits plus clairvoyants, Taine par exemple et Brandes, le public prêtait peu d’attention aux violences calculées de Nietzsche ; les uns le tenant pour un mystificateur, les autres pour un anarchiste de l’ordre intellectuel. T<jujours plus aigri, usé dans l’instrument surmené de ses facultés supérieures, le malheureux philosophe s’enfonçait de plus en plus dans sa tristesse sauvage et sou orgueil. Il se plaignait avec amertume de la « conspiration du silence » qu’on faisait autour de ses œuvres, et accablait l’empire allemand, la culture allemande, la musique allemande elle-même, de ses traits les plus cruels, de ses épigrammes les plus venimeuses…

« Le silence des critiques n’était pas la pire souffrance

de Nietzsche : le vide se faisait autour de lui ; déconcertés par ses bizarreries, incapables de le suivre dans ses constants voyages, ses amis se refroidirent ou s’en allèrent. Sa sœur, qui fut constamment sa confidente et son meilleur appui, qui s’est, depuis, constituée sa garde-malade et son biographe le plus détaillé, Mme Foerster Nietzsche, dut suivre son mari en Amérique. Dès lors, le « Moi » du solitaire, privé de ce « troisième » sans lequel « la convention de II et Moi est insupportable », de cet « ami » dont Il le désir même est notre révélation », s’exalta de plus en plus : il cria sa haine à toutes les croyances que ses attaques avaient laissées debout. Ses derniers livres : Le Crépuscule des idoles, V Antichrétien, sont les plus violents… Une heure vint — fin 1888 — où l’imagination surchaulîée du poète confina aux hallucinations. Il se compare à Jésus-Christ, se proclame comme lui Sauveur et méconnu comme lui. Il achève, en la renversant, l’œuvre de son devancier, l’évangile du Surhomme abroge l’autre, et c’est pour l’avoir prêché que Zarathoustra est persécuté. L’autobiographie écrite en 1888 est intitulée Ecce homo… La folie était proche, l’abîme s’ouvrait : Frédéric Nietzsche y sombra, à Turin, dans les premiers jours de janvier I 889. »

Itéfutalion. — « Certes, le système philosophique… ne ralliera pas, sauf une vogue passagère, beaucoup djesprits. Mais… l’esprit de Nietzsche, cet esprit d’indépendance absolue du moi, cette conception de la vie qui mesure toute valeur réelle au degré d’expansion de la personne humaine (je devrais dire : de l’animal humain), cet esprit pourra vivre encore pour la perversion de beaucoup, alors que l’ensemble du système aura passé dans l’Iiistoire de la philosophie.

« Or il n’est pas d’antithèse plus radicale à la conlu’ption

chrétienne du monde, il n’est pas de position qui trouble plus violemment l’équilibre premier des choses. Elle délivre l’autonomie kantienne de la raison, aussi bien du fantôme de la « chose en soi » que de la sujétion, rétablie obliquement, à un devoir, à une moralité, à un Dieu. Son optimisme absolu, matériel, brutal, en fait (quoi qu’il en soit des intentions Iiersonnellesde Nietzsche) la justification, l’apothéose des instincts à l’encontre de toute règle. Son hymne

— celui qu’elle chante [iratiqui-ment et logiquement aux or(Mlles de ceux qu’elle séduit — est le hennissement de la nature débridée, car