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LIBERALISME

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aux choses de la société humaine, mais encore quant à celles de la religion divine. En vain direz-vous : Qu’on lions laisse à notre libre arbitre. Pourquoi ne demandez-vous pas la même licence pour ce qui est de l’homicide, du viol et de toute sorte d’infamies qui sont réprimées par des lois assurément justes et salutaires ? « (Conira Cresconium III, li, 67, l’.L., XLIIl, 527.) Dans l’une de ses lettres au comte Boniface, il ajoute : >. Autre chose est pour le prince de servir Dieu en sa qualité d’individu, autre chose en sa qualité de prince. Comme homme, il le sert en vivant fidèlement, comme roi en portant des lois religieuses et en les sanctionnant avec une vigueur convenable. Les rois servent le Seigneur entant que rois, quand ils font pour sa cause ce que les rois seuls peuvent faire. » (Epist., cxxxv. ad comitem Bonifacium, 19, P.L., XXXIII, 801.) Et ailleurs :

« Nous appelons heureux les empereurs chrétiens, 

s’ils mettent principalement leur puissance au service de la majesté divine par l’accroissement de son règne et de son culte. » (De Cii’itale Dei, V, xxiv, />./.., XLI, 171.)

Le Cardinal I’ie l’a justement fait remarquer. Les canons des conciles, les décrétales et les lettres des papes, les capitulaires des princes ont continué le même langage. Il est impossible d’établir à cet égard, entre la doctrine primitive et la discipline postérieure de l’Eglise, d’autre divergence que celle qui résulte de l’application selon la diversité des circonstances ; dans cette matière comme dans une foule d’autres, la question de conduite doit prudemment se combiner avec la question de principes. Mais le droit, le principe de l’Etal chrétien, du prince chrétien, de la loi chrétienne, n’a jamais été contesté jusqu’à ces derniers temps, et aucune école sérieusement catholique n’a jamais fait entrevoir dans sa destruction un progrès et un perfectionnement delà société humaine. On alléguerait en vain à l’encontre de cette doctrine certains passages mal compris ou mal interprétés. On trouvera de cette diiliculté une explication très claire dans le TertuUien de Mgr Freppel (tome /, La liberté de conscience), qui se résume en ceci : revendication du droit commun, au milieu d’une société qui permettait la libre profession de tous les cultes, même des plus ridicules et des plus pernicieux ; aflirmation du droit essentiel à la vérité, comme résultant de la divinité du christianisme ; tel est le double mode d’argumentation que TertuUien emploie tour à tour. S’ilallirme avec raison qu’on ne doit contraindre personne à faire un acte religieux qui répugne à la conscience ; s’il reconnaît que chaque homme tient de la nature et des lois le pouvoir de régler sa croyance, il n’étend pas cette ])roposition au point d’exclure la répression d’erreurs dangereuses Le christianisme a droit à une liberté pleine et entière, parce qu’il est la vérité et la sainteté même.

Celte doctrine de la loi socialement chrétienne et chargée, en certains cas, deprétcr main forte à l’Eglise, enseignée par les Pères les jjIus illustres, nous la trouvons enseignée dans les documents ecclésiastiques de la tradition. Voir à ce propos : /.es luttes présentes de l’K^lise, par Yves nR la Briéiir, I" série, 1909-1912 ; l’partie, ch. vu : Enseignements pontificaux et libéralisme catholique.

En 1179. le IIP concile de Latran (XI* oecuménique), fait précéder son anatlième contre les Albigeois de la déclaration suivante : « Comme l’a dit le bienheureux Léon, la discipline de l’Eglise se contente du jugement r<ndu par le prêtre, et ne connaît pas les i)rnalités sanglantes. Cependant, elle est aidée par les lois des princes catholiques, de telle sorte que souvent les hommes vont chercher

le remède salutaire à leur àme, lorsqu’ils redoutent le supplice dont est menacé leur corps. » (Actes, c. 27.)

Les Bulles pontificales de cette époque, quoi qu’il en soit de l’interprétalion à donner à la nature des relations entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, affirment à coup sûr, pour l’Eglise, le droit d’exiger le concours de la puissance séculière, le droit de requérir la force des lois humaines, dans la mesure où l’exigera le bien de la religion et le salut des âmes. On n’a qu’à se rappeler à cet égard les fameux considérants de la bulle Unam sanctam, de BoisiFACE VIII, du 28 novembre 1302.

Dans sa xv" session, le 6 juillet 1415, le concile de Constance condamne, parmi les erreurs de Jean IIus, l’opinion qui refuse à l’Eglise le droit de laisser un coupable à la juridiction séculière, quand ce coupable n’aura pas obtempéré aux sentences de la juridiction ecclésiastique (14* proposition de Jean Hus, dans la Bulle dogmatique /nier ciinctas, du 22 février 1418), le pape Martin V approuva cette condamnation conciliaire ; D.B., 640(535). Et au nombre des doctrines sur lesquelles devront être interrogés les hommes suspects de favoriser les erreurs de Wyclefp et de Jean Hus, le pape mentionne expressément le droit pour l’Eglise de faire appel au bras séculier (82" question de l’interrogatoire) ; D.B., 682 (576). Un siècle ai)rès la bulle de Martin V, nous trouvims la bulle célèl)re de Léon X, Exsurge IJontine, duv) juin 15yo, par laquellesont condamnées cxcuthedra les erreurs de Luther. La 33’proposition, l). B., 773 (607), est ainsi libellée : Hærelicos cumbiiri est contra volxintateni Spiritus. «. Fairebrfiler les hérétiques est chose contraire à la volonté du Saint-Esprit. » Qu’on nous conqirenne bien. De cette proposition condamnée, nous ne voulons pas déduire que l’Eglise possède directemente jus gladii, le droit de porter une sentence de mort contre les hérétiques : le texte en question n’impose point cette interprétation. Nous ne prétendons pas non plus que la peine de mort pour crime d’hérésie doit figurer dans le code pénal de tout Etat publiquement catholique : ce serait ajouter au texte. Mais nous pouvons et devons conclure que l’application delà peine de mort pour crime d’hérésie n’est pas toujours et nécessairement injustifiable, et que des circonstances peuvent se i)résentor où, par suite de l’étal des esprits et des mœurs, l’Etat chrétien l’ait œuvre sage et utile en punissant de la sorte l’hérésie jmblique. C’est la seule conclusion que nous entendons tirer d’une proposition censurée dans >in acte pontifical qui porte le caractère de l’infaillibilité. (Voir Hérésie [Ilépression de /’].)

Les temps se faisaient mauvais, et, à la suite de la Uévolution française, tendait de plus en plus à prévaloir dans le monde entier un état de choses où l’Eglise catholique cesserait d’être publiquement et oiriciellement reconnue pour l’unique et véritable Eglise de Jésus-Christ ; où la cité en tant que cité ne professe plus aucune religion ; où nulle sanction légale n’étant accordée aux jugements publics de l’Eglise, celle-ci est, en définitive, réduite à la garantie (lu droit commun, c’est-à-dire à la liberté dont jouissent (’^rt/emcH( tous les cultes qui ne troublent lias l’ordre public. En face de ce fait de plus en ])lus général, quelles devaient être la pensée et la conduite des catholiques ? Devail-on se réjouir de ce nouvel étal de choses, qui, disait-on, ne prive la vraie religion que de privilèges sociaux résultant de diverses circonstances historiqvu’s du moyen âge et de l’Ancien régime ?… Oucl jugement porter sur lui ? Dans quelle mesure doit-on et peut-on s’en accommoder ?