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LANGUES

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produite par les voix de plusieurs, récitant avec empliase ou chantant sans ensemble des prières extatiques inintelligibles. Voilà pourquoi l’apôtre trace aux Corinthiens ces règles pleines de sagesse : < (Juand vous êtes réunis et que tel d’entre vous a un cantique à chanter (sous l’action de l’Esprit : ^aint), tel une doctrine à exposer, tel une révclaliou à communiquer, tel autre une langue à l’aire entendre, tel entin une interprétation à proposer, (]ue tout se fasse pour l'édilication. S’il y en a qui parlent en langues, qu’il n’y en ait pas plus de deux, ou tout au plus trois, qui se fassent entendre, et qu’ils parlent l’un après l’autre, et qu’un seul donne l’interprétation. S’il n’y a point d’interprète, que celui qui voudrait parler en langues se taise dans l'église ; qu’il se parle à lui-même et à Dieu… Pour conclure, mes frères, tâchez d’obtenir le don de [>rophétie, et n’empêchez pas les langues de se faire entendre. Mais que tout se fasse dans la bienséance et avec ordre ». (26-28 ; 89, ^0.) Là où ces règles étaient observées — et les préposés des Eglises devaient veiller à ce qu’elles fussent observées partout — l’usage du don des langues n’impliquait plus rien d’extravagant. La récitation d’une prière, sous l'émotion de l’extase, n'était pas plus insensée que ne le serait la parole vibrante d’un prédicateur éloquent, pénétré de son sujet ; les accents d’une hymne chantée sous l’action de l’Esprit, soit sur une mélodie connvie, soit sur un air improvisé même ne devait pas différer beaucoup du chant modulé et dialogué de nos prières liturgiques. Le don des langues ainsi pratiqué neprésentait donc rien d’incompatible avec la gravité exigée dans le lieu saint.

Mais au moins, dit on, il n’est pas raisonnable et, par conséquent, pas digne de Dieu, que l’Esprit suggère à des hommes doués d’intelligence des formules de prières et de cantiques, dont personne necomj )rend le sens, ni les assistants ni même celui qui parle. Cette objection est plus spécieuse que solide. Faisons d’abord observer que « celui qui parle en langues ne parle pas aux hommes, mais à Dieu » (I Cor., XIX, 2). Or il n’y pas d’idiome inintelligible à la science intinie de Dieu. De plus, lorsque le fidèle prie ainsi sous l’action divine, ce n’est pas tant lui qui prie, que l’Esprit-Saint qui habite en son âme et qui agit en se servant des facultés de cette âme comme d’instruments vivants. Cette action divine, un des mystères les plus sublimes de notre foi, est formellement enseignée par saint Paul, dans son épître auxKomains(vni, 26 et 2-) : « L’Esprit, dit-il, vient en aide à notre faiblesse. Car nous ne savons pas ce que nous devons, comme il convient, demander dans nos prières ; mais l’Esprit lui-même prie pour nous par des gémissements ineffables ; et celui qui sonde les cœurs sait quels sont les désirs de l’Esprit, qui demande pour les saints ce qui est selon Dieu. » On peut donc dire que la formule récitée « en langue » est comprise et par celui à qui elle est adressée et par Olui quia la part principale dans la récitation même. D’ailleurs saint Paul ajoute que " celui qui parle en langue s'édilie lui-même » d). Et, en effet, l'âme saisie par l’Esprit-Saint pour prier de cette manière se sent en communication avec Dieu, elle jouit de l’oraison d’union ; or l’expérience constate que rien ne contribue aussi ellicæement que cette oraison d’union avec Dieu pour faire avancer une âme dans les voies de la sainteté. Nos adversaires no croient pas à la réalité objective de cette action du Saint-Esprit ; mais ils ne peuvent nier, et ils ne nient pas, en effet, que la persuasion subjective de cette influence divine ne produise sur les âmes les effets les plus salutaires, en leur inspirant la pratique des plus suljlimes vertus. Cela devrait

suCDre à l’incrédulité pour épargner ses sarcasmes aux prières qui se faisaient en langues incomprises dans l'Église apostolique, aussi bien qu'à celles qui se font encore maintenant en langue latine dans les temples catholiques et dans les cloîtres des vierges consacrées à Dieu. — Pour ce qui est des fidèles présents aux assemblées où se produisait le don des langues, les recommandations de saint Paulfaisaient disparaître l’inconvénient résultant pour eux de l’usage d’un idiome incompris. Car ce qui se produisait au dehors, sous l’action du don des langues, devait toujours être interprété ; lorsque personne n'était là pour donner l’interprétation, la « langue » était condamnée au silence. — Enfin celui-là même à qui l’Esprit-Saint inspirait une prière dans une langue inconnue, possédait d’ordinaire, en mêmetemps, le don de l’interprétation ; et ainsi s'évanouissait pour lui aussi l’inconvénient que Ion prétend signaler dans le don des langues. Nous pouvons tirer cette conclusion de la manière de parler de l’apôtre :

« Ainsi, mes frères, dit-il, puisque vous avez tant

d’ardeur pour ces faveurs spirituelles, désirez de les avoir en abondance pour l'édification de l'Église. C’est pourquoi, que celui qui parle une langue demande à Dieu qu’il puisseinterpréterce j « '(7éHonce… Que ferai-je donc ? Je prierai par l’Esprit, par le don des langues qui est en moi ; mais je prierai aussi par mon intelligence, encomprenant le sens de ma prière ; je chanterai une hymne par l’Esprit, mais je la chanterai aussi par mon intelligence.) ! (I Cor., xix, 12-15.)

Après ce que nous venons de dire, il reste encore deux questions à résoudre : 1° pourquoi le Saint-Esprit s’est plu à faire prier ainsi les premiers fidèles dans un état plus ou moins extatique, en des langues qui leur étaient naturellement inconnues ; 2° pourquoi ce don a disparu dans l'Église dès les temps apostoliques, tandis que les autres dons, tels que la prophétie, la science surnaturelle, le don des miracles, etc., ont, dans un certain degré, persévéré jusqu'à nos jours.

1° — Nous pouvons répondre d’abord, avec saint Paul (22) : « Les langues sont un signe, non pour les fidèles, mais pour les infidèles. » Le prodige des langues, lorsqu’il apparut pour la première fois, secoua, en effet, puissamment les Juifs encore incrédules, que le bruit du vent impétueux avait attirés vers le Cénacle : Ils en étaient tous hors d’euxmêmes, '£ ; 17T5 : /Tj, et pleins d’admiration » (Act., 11, -). Plus lard, il dut en être de même chaque fois que des infidèles, entrant dans une réunion de chrétiens bien réglée, y étaient témoins de cette merveille. Ce prodige était pour eux facile à constater, aussi bien quant au fait, que quant à sa cause nécessairement surnaturelle. L’infidèle, saisissant ainsi sur le vif l’action de Dieu, se trouvait attiré vers une société qui avait si manifestement Dieu avec elle. Et qu’on ne dise pas que ce signe était incertain et fallacieux, puisque des phénomènes extatiques analogues se produisaient alors et se produisent encore maintenant dans des sectes hérétiques et dans des réunions mêmes de libres penseurs. Car il n’y a pas de parité ; il sufllt de répondre : Ex fructibus eorum roi ; noscetis eos. Vous les connaîtrez à leurs fruits ! Le démon, étant le « singe de Dieu », tâche de contrefaire les œuvres divines ; mais la fraude perce toujours par quelque endroit ; elle se montre surtout dans le-S effets vains ou vicieux qui résultent de ces phénomènes. Les infidèles, frappés par le signe des langues, avaient, pour en contrôler l’origine, l’exemple de toutes les vertus que leur donnaient les chrétiens.

2° — Ce signe, entre tous les autres, était particulièrement apte à conduire les infidèles vers l'Église :