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JUIFS ET CHRETIENS

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récompensé s’il fut empoisonné, comme on l’a dit, par son médecin, le juif Sédécias (on en a dit autant, sans fondement solide, d’Hugues Capet).Les derniers carolingiens furent moins indulgents.

SO. I^e peuple chrétien. — Impressionnable, emporté, insullisamment imprégné de douceur chrétienne, le peuple attend rarement le mot d’ordre royal. Dans ses rajtports avec les Juifs, il se livre à deux excès contraires. Il a et une tendance à judaïser, qui est une des manifestations de son instinct superstitieux, et de brusques et terribles violences. Une parole l’excite, un acle contraire à sa foi l’indigne ; les méfaits des Juifs, réels — il y en eut — ou crus réels, le metleut hors de lui. En 698, à C^agliari, conduite par un juif baptisé de la veille, la multitude plante la croix dans la synagogue et la consacre au culte chrétien, en dépit de l'évêque A ClermontFerrand, en 076, un juif ayant répandu de l’huile fétide sur la tête d’un converti qui s’avance vêtu de ses blancs habits de néophyte, la foule le lapiderait sans l’intervention de l'évêque ; peu après, pendant une procession, elle se jette sur la sj’nagogue et la détruit. Elle manque massacrer, à Arles, tous les Juifs traîtres à la ville assiégée par les Goths (508). , Rome, une sédition populaire éclate contre l’empereur Théodoric, à l’occasion d’un soulèvement de quelques esclaves contre leurs maîtres juifs ; les synagogues sont brûlées, les Juifs pillés et maltraités. T. Reinach, Histoire des Israélites, p. B7-89, donne la traduction du récit de GnKGoinH de Tours, //. F., VI. V, 1 7, sur le meurtre du juif Priscus ; il signale, dans le Irait final, » comme une promesse consolante au fond du tableau, la secrète sympathie du peuple pour le malheureux juif, son compagnon d’infortune ». Or, voici l’alTaire. Le juif Phatir, converti et filleul du roi Chilpéric I", tue le juif Priscus, à la suite d’une querelle. Il se réfugie dans une basilique avec ses serviteurs. Le roi ordonne de tuer ses serviteurs et lui. Phatir se sauve. Un des serviteurs se saisit d’une épée, tue ses compagnons et sort de la basilique, son glaive à la main, sed imiente super se populo cnideliter interfectus est. Rien qui témoigne de la « secrète sympathie » du peuple pour les Juifs

La haine du peuple contre les Juifs eut, pendant tout le moyen âge, des explosions qui n'étaient ni préparées ni dirigées par les princes ou par la liiérarchie ecclésiastique. Un des faits les plus caractéristiques nous a été révélé ]iar une note marginale du sacrameutaire de Saint-Vast (manuscrit du x" siècle). Cf. II. Netzer, L’introduction de la messe romaine en France sons les carolingiens : , Paris, 1910, p. 207. Il s’agit de la prière pour les Juifs le vendredi saint. La rubrique prescrit de ne pas llécliir le genou avant de la chanter, alors qu’une génuflexion précède les autres oraisons. Pourquoi cette différence ? On a trouve plus tard des explications symboliques. Le sacramentaire de Saint-Vast indique la cause réelle : I/ic nostrûm nullus deliet modo flectere corpus oh pnpuli noxam ac pariter ralnem. J. Justkr, op. cit., p. io5, pense (|ie l’appellation de « juif » devint franchement injurieuse au comnunceuient du v" siècle. Elle acquit de plus en plus un caractère insultant, ita ut pri> ma/^no contumelio judæus quis esse dicatnr, dit P.kvl Alvahe (dont les ancêtres furent juifs), Epist., xvni.

§ II. Or 1 100 A 1500

51. J-es grandes violences et les expulsions. — De iioo à lôoo, se réalise l’annonce d'.MOLON, Contra Judæos, v, que les maux d’Israël allaient augmenter.

Les Juifs ont à souffrir des croisades. Le mouvement des croisades fut admirable, mais non sans un

mélange d'éléments troubles. La lutte contre l’infidèle du dehors rejaillit sur l’infiilèle du dedans. Ce qui déchaîna les colères, c’est que le bruit courut que les Juifs s’entendaient avec les musulmans, pour détruire les chrétiens. Les pires violences éclatèrent, sur les bords du Rhin et de la Moselle, lors de la première croisade (109I1). Elles se renouvelèrent, sur une moindre échelle, à l’occasion delà deuxième croisade, en Allemagne (ii^ô) ; de la troisième, en Angleterre (1190) ; de la quatrième, en France (1198).

« Avec le xni' siècle, etle pontificat d’Innocent III, 

dit T. Reinacu, Histoire des Israélites, p. loS-iog, le catholicisme, jusque-là en quelque sorte sur la défensive contre les Juifs, prend une offensive vigoureuse et inaugure l'ère des persécutions véritables. Ces persécutions, qui se présentent sous la forme infiniment variée de lois humiliantes, d’exactions fiscales et d’explosions du fanatisme populaire, aboutissent à l’exclusion complète des Juifs de tous les pays de l’Europe occidentale, où leur civilisation avait pris un réel essor, u L'.Angleterre les chasse en 1290. La France, après toute une série de proscriptions liientot rapportées, les chasse définitivement eniSg/i. L'.llemagne, par une suite d’expulsions locales, temporaires ou perpétuelles, les élimine d’un peu partout ; à la fin du xv= siècle, ils n’ont plus que trois établissements de quelque importance : Worms, Francfort et Ratisbonne. L’Espagne, unifiée enlin par le mariage de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle de Castille, institue l’inquisition principalement contre les Juifs insincèrement convertis (i /|80) et prononce l’exil de tous les Juifs non convertis (1^92). Un grand nombre passent en Portugal, où ils sont revus favorablement ; mais, en 149^', ils ont à opter entre l’exil et le baptême. Paisibles en Italie, ils sont chassés de la Sicile qui dépend de l’Espagne. Ces expulsions avaient été précédées, un peu partout, de mauvais traitements, de pillages et parfois de massacres. Judenbreter (rôtisseurs de Juifs) et Judensclilcîger (tueurs de Juifs), pastoureaux, fiagellants, bandes de fanatiques et de vagabonds, surtout quand sévit la peste noire (i 3/(8-1350), s'étaient à qui mieux mieux rués contre les Juifs.

58 Les causes des persécutions. — « Du xui' au XYV siècle, ditGuAETz, Histoire des Juifs, trad, l. IV, p. 208, les persécutions des Juifs se multiplient avec une elîrayante rapidité : le fanatisme populaire, la rupidilé des rois, la jalousie des marchands s’unissent pour les opprimer. » La formule est partiellement vraie ; elle ne contient pas la vérité entière,

A. Les rois. — Lacupidité desrois inllua sur les persécutions. Roisel grands seigneurs confisquèrentsouvent, tant qu’ils purent, les biens des Juifs. Beaucoup étaient besogneux, perdus de dettes. Les richesses juives les tentaient ; ceux qui étaient sans scrupules mettaient la main dessus. Le Juif était, poureux, une

« vache à lait », vine « éponge », une « sangsue » qu’ils

laissaient se gonfler, s’emplir d’or, et qu’ils obligeaient à dégorger ensuite. Il arriva aussi que le seigneur, le roi, ayant eiupiunté aux Juifs, durent, après leur avoir abandonné leurs effets précieux et leurs valeurs mobilières, pour payer les intérêts, hypothé(]ner leurs revenus, les redevances de leurs sujets, et que, les Juifs soulevant l’indignation populaire par leur àpreté à recouvrer ers redevances, les rois bannirent les Juifs ou supprimèrent leurs créances.

Si, en tout cela, les rois ont de.graves torts, les Juifs ne sont pas irréi)roclialiles. Us se livrent à une usure effrénée, qui deient la principale cause de leurs malheurs. Que les rois pressent l'éponge injustement, il n'.v aqu'à les blâmer. Mais que l'éponge, périodiquement pressée, soit de nouveau gonflée si