Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/856

Cette page n’a pas encore été corrigée

1699

JUIFS ET CHRETIENS

1700

Puis, il y aies complications, surajoutées à la dureté du taux, que stigmatisent les bulles des papes, les canons des conciles, les sermonnaires, tels un Mknot et un Maillard, et les mystères du mojen âge. De leurs peintures des artilices des « mangeurs du peuple >i quelques livres de compte nous donnent le commentaire vivant : « Majoration des sommes prêtées, estimation exagérée des marchandises données ou insuffisante des marchandises reçues, retenue d’une partie des avances ou du gage supérieur au prêt, évaluation arbitraire des monnaies ou des grains, à une époque où ces valeurs étaient l’instabilité même, erreurs de calculs.., le créancier, marchand ou juif, a à son service toutes les roueries ingénieuses et subtiles de l’homme d’affaires en règle avec la loi », P. Imbaht de la Toir, p. 276. Le 19 lévrier 1895, à la Chambre des députés, M. Samory, décrivant l’usure juive en Algérie, disait : a J’ai vu présenter des quittances de 4000 à 5000 francs pour un em[)runt de 1500 francs, et, comme le colon ne pouvait pas payer, il était exproprié, et l’on paj’ait 4000 francs au tribunal une terre qui valait de 20 à 26000 francs. » Des abus de ce genre, commis sur une échelle très variée, expliquent l’impopularité des usuriers juifs et les allusions malveillantes à la richesse des Juifs.

Cette richesse frappe les regards. Cf., par exemple, AGOB.iRD. De insolent ia Judæorum. iv (avec la note de Balczk sur ce passage, P. A., t. d’y, col. j3) ; Amolox, Contra Judæos, Lix ; Hioonn, De gestis Philippi Augusti ; Pierre Alpho.nse. Dialugi. II, P.I… t. CLVII, col. 5-4 (l’interlocuteur juif tire de l’existence de leurs richesses la preuve que les Juifs sont aimés de Dieu), etc. N’exagérons pas la portée de ces textes. N’y voyons pas non plus de la fantasmagorie. Ce qui a indisposé envers les richesses des Juifs, c’est qu’  « ils en prennent plus que leur part » ; que certaines fortunes se sont édifiées très vile, trop vite pour avoir été conquises de façon légitime ; que, pour nous en tenir au moyen âge où ces griefs sont nés, les Juifs ont abusé quand ils l’ont |>u. de leur situation de prêteurs indispensables. Bannis, dépossédés, si la porte se rouvrait, ils Retrouvaient, presque du jour au lendemain, aussi riches qu’avant l’exil, grâce à l’usure.

§ II. Ce que l’Eglise a tensé dk l’csure juive

41. L’Eglise a toléré l’usure juive au sens primitif du mot, ou prêt à intérêt. — Certains textes feraient croire que l’Eglise condamna le prêt à intérêt chez les Juifs, comme chez les chrétiens (cf. l’article Ixtéhi’ : t (Prêt a), t. U, col. 1081-1090). Innocent III enjoignit aux princes de contraindre les Juifs ad remittendas christianis usuras, Décret., V, xix, 12. Saint Thomas, De regimine Judæorum, Opéra omnia, Parme, 18f)5, t. XVI, p. 292, pose ce principg : Cum ea quæ Judæi per usuras ab aliis habuerint non possint licite retinere. Ailleurs, il rencontre le fameux texte du Deutéronome, xxiii, 19-20, qui permet aux Juifs d’exiger un intérêt des étrangers, mais non de leurs frères ; ce fut, dit-il, II’11"^. q. 78, art. i, ad 2", une tolérance divine, ad maïus malum vitnndum : mais prêter à intérêt à n’importe qui est simpliciter malum, car tout homme doit être pour nous un frère, surtout dans l’état évangêlique auquel tous sont appelés. C’est laisser entendre que la concession du Deutéronome a été révoquée par le Christ. Rbifkrnstuel, Jus canonicum unirersum. In Décret., y, XIX, § IX, n. 172, Paris, 1869, t. VI, p. 451, affirme nettement cette révocation. Cf. encore BenoIt XIV, De synodo dinecesana, X, iv, 12-13, dans ses Opéra, Bassano. -fi-), t. XII, p. 8.

La plupart des théologiens et des canonistes ne

furent pas aussi rigoureux. Cf., entre beaucoup d’autres, M. Becan, Traclatio omnium de fide controversiarum, V, xvii, Lyon, 1624, p. 4Ô9-4*^i ; A. Ricciclli, Tractatus de jure personarum extra Ecclesiæ gremiuiii existenlium, II, xix, 5, Rome, 1622, p. ja ; J. GiBALiN, De usuris cuiitmerciis deque aequiiale et usu fori lugdunensis, I, vii, 8, Lyon, 1607, p. iig-122 ; C.-A. Thesadrls, De poenis ecclesiastiçis, Rome, 16y5, p. 36 1 ; G. Rosio.xoli, A’oiissima praxis tlieologico-legalis in unu’ersas de contractibus contrôlersias, Milan, 1678, t. I, p. 164-172 ; J. Sessa, Tractatus de Judæis, IV, xii, xvui-xix, Turin, 1717, p. 8-9 ; L. Ferraris, Priimpta bibtiotheca canonîca, Venise, l’-jii,. W, addenda, ^. 14-15. Ces auteurs se placent sur le terrain des faits ; ils constatent, sauf à différer dans l’explication qu’ils en donnent, que l’Eglise tolère l’usure juive. Le jurisconsulte Sessa dit crûment : L’suræ judaicæ tolerantur quidem ex permissiune principum et summorum pontificum in Ilebræis, ut de gente deperdita et quorum salus est desperata, et ad euni finem ne christiani foeneris exercitio stransiulentur a christianis. Becan, dont l’autorité est plus grande, réclame, pour la permission de l’usure, une cause suffisante, telle que l’empéchement du mal : sans elle il pourrait)’avoir furta, rapinae, oppressioues pauperum, desperaiiones. A vrai dire, la principale raison de la tolérance de l’Eglise semble avoir été le texte du Deutéronome. Il serait intéressant de recueillir tout ce qu’en ont écrit les chrétiens : exégètes, théologiens, canonistes. Peut-être aussi, en les étudiant de près, apercevrait-on çà et là le pressentiment et comme l’amorce de la légitimation du prêt à intérêt par les titres extrinsèques.

Quoi qu’il en soit, pratiquement l’Eglise souffrit que les Juifs prêtassent à intérêt. Avec la marche du temps, avec l’institution des monts-de-piété et leur répercussion sur les choses de la banque, la tolérance des papes s’élargissait. Non contents de supporter les prêteurs juifs, ils eurent recours à eux ; Martin V, Calixle III, Alexandre VI, Clément VII, contractèrent des emprunts importants. Les Juifs en proUtèrent pour emprunter, pas trop cher, aux chrétiens des sommes qu’ils prêtaient à l’Etat, très cher. Débiteurs à la fois et créanciers des chrétiens, ils furent « créanciers fort humbles, débiteurs fort arrogants. Si on les menaçait, ils menaçaient à leur tour de faire faillite et d’entraîner dans leur chute les banques privées et les monts-de-piété ; et l’on recula toujours, en effet, devant cette extrémité », E. Rodocanacui, Le Saint-Siège et les Juifs, p. 245. A leur tour, les princes séculiers permettaient l’usure aux Juifs, ce que Tub-SAURUS, op. cit., p. 3(’)r, estime licite au moins en vertu dune coutume immémoriale tolérée par les papes ou d’une concession expresse du Saint-Siège. Les Juifs triomphaient de pouvoir exercer l’usure envers les étrangers, ainsi que dans l’ancienne Loi ; ils en concluaient qu’ils restaient le peuple de Dieu, au rapport de Fagics, dans les Critici sacri sive doctissimiirum virorum in SS. Bihlia annntationes, Londres, 1660, 1. 1, col. 1288-1289, lequel entendit souvent nombre d’entre eux déclarer que l’état des choses présent leur plaisait à ce point qu’ils n’auraient pas voulu de la venue du Messie et du retour en Palestine.

.u xvi « siècle, les papes autorisèrent des Juifs à ouvrir des banques où l’on prêtait à intérêt et d’autres à prêter à intérêt sans ériger une banque..-V cette date, était dans l’air l’idée qu’un intérêt adouci peut, à cause des titres extrinsèques, être légitime. Elle dut influencer les documents pontificaux qui favorisent les Juifs ; elle n’y est cependant pas exprimée. Les Regestes des papes contiennent de précieux renseignements sur les relations entre la papauté et les Juifs