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JUIFS ET CHRETIENS

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eux les textes du Talmud. Mais nous avons le droit de nous en servir pour connaître les dispositions des Juifs envers les chrétienset le christianisme dans les siècles écoulés et comprendre, par contre-coup, les dispositions des chrétiens envers les Juifs.

§ II. Ce que l’Eglise a pensk do Talmud

36. Avant 1500. — Il semble que le Talmud ne fut connu longtemps des chrétiens que par oui-dire. Quelque chose de son contenu parvenait jusqu’à leurs oreilles ; le texte dut tomber rarement sous leurs yeux. Les traditions orales de la Synagogue, dont le premier compilateur paraît avoir été R. Akiba (-f- 135), et dont le recueil, achevé par Joda LB Sai.vt a[>pelé aussi, par excellence, Rabbi (lin du 11° siècle), forma la Mischna et reçut sa forme dernière vers le milieu du m » siècle, sont mentionnées par les Pères sous le nom grec de deutérose, ôijzip’M7ti. Saint Justin, saint Epiphaxe, saint Augustin, saint Jérôme, les citent. Saint Jérôme, très sévère — aiiiles fabulae…, et pleraque tam tiiipia suitt ut erabescam dicere, dit-il, £p. ad Aigus., cxxi, lo — nomme les principaux représentants de la tradition juive, parmi lesquels R..kiba ; il peut donc viser la Mischna. Justimbn, novelle 1^6, interdit (548) de lire, dans les synagogues, eam qitæ ah eis diciliir secundo editio : secundo editio eslla traduction littérale de Ô£vr£5W71 ; - C’est donc la Mischna qui est condamnée, non pas, il est vrai, par l’Eglise, mais par un empereur qui jouait au théologien. Cette même novelle est inscrite dans les Basilique.t, I, i, ; î^. Cf. le xXomocanon de Photius, XII, m.

Dérober le Talmud à la curiosité des chrétiens fut la tactique des Juifs. Pierre le Vénérable, Tractatas adversus Judæorum inveteratamduritiem, v, nous apprend que de son temps ils le cachaient de leur mieux, et triomphe d’avoir réussi à découvrir un exemplaire ; il le dénonce à l’indignation chrétienne.

Malgré la renommée de l’abbé de Cluny et la fougue de son traité, le Talmud resta presque insoupçonné des gens d’Eglise. La grande révélation se lit de 1238 à la^o. Jusque-là, remarque justement N. Valois, Guillaume d’Auvergne évêque de Paris, sa vie et ses ouvrages, Paris, iBSo, p. iig-iao, « quelque aversion qu’ils eussent les uns pour les autres, il semblait y avoir entre eux (les Juifs et les chrétiens) une corauiunauté de croyance, un accord tacite sur les matières de l’ancienne Loi. Dans les controverses, qui avaient lieu à d’assez courts intervalles, les Juifs n’a[)paraissaient que comme les défenseurs de l’Ancien Testament ». Le Talmud s’imposait à eux à l’égal au moins de la Bible ; mais il avait cheminé dans l’omble, et les chrétiens ne se doutaient guère de la distance qu’il mettait entre les Juifs et eux. Ce fut un saisissement quand le mystère se dissipa. Un juif converti, Nicolas Donin, de la Rochelle, présenta (1238) au pape Grégoire I. trente-cinq articles qui reproduisaient, disait-il, la doctrine du Talmud et qui, de fait, en sont tirés exactement. Grégoire, par des lettres adressées aux évêques et aux souverains des royaumes occiiientaux, ordonna de s’emparer de tous les exemplaires du Talmud et d’ouvrir une enquête. Les ordres du i)ape ne paraissent avoir été exécutés qu’gn France. A Paris, en 12^0, devant la cour de saint Louis d’abord, puis devant des évêques et des maîtres en théologie, Nicolas Donin, d’une part, et, d’autre part, R. Yehikl, de Paris, dont la réputation était européenne, et trois autres rabbins, discutèrent les griefs contre les enseignements talmudiques. Le Talmud fut condamné ; les exemplaires détenus furent brûlés publiquement à Paris, probablement en 12/(2. Des exemplaires

subsistaient ; en 1248, il y eut une nouvelle condamnation, dont on ne sait si elle fut suivie d un autodafé. Un ouvrage, intitulé Extractiones de Tahiiut ou Excerpta talmudica, se proposa de justifier, par des extraits du Talmud, cette condamnation. Cette phrase des i ?a(rat/jo/(es indique bien l’importance de i’alTaire : « Il faut savoir que, par un secret dessein de la Providence, les erreurs, les blasphèmes et les outrages contenus dans le Talmud avaient échappé jusqu à ce jour aux yeux des docteurs de l’Eglise. Le mur est enfin percé, le jour s’est fait, et l’on a vu ces reptiles, ces idoles abominables, qu’adore la maison d’Israël. » Désormais quelque chose était changé dans les relations entre Juifs et chrétiens.

L’attention des papes demeura éveillée. A plusieurs reprises, ils renouvelèrent la condamnation du Talmud. Ce fut le cas de Clé.ment IV (bulle Damnubili perfidia, 15 juillet 1267) ; d’Ho.vonius IV (bulle Niuiis in partibus angUcanis, 18 novembre 1286) ; de Jean XXII (bulle Dudum felicis recordationis, 4 septembre 1320, reproduit la lettre d’Eudes de Chàteauroux, cardinal-évêque de Frascati et légat d’Innocent I’lors de la condamnation de 1248, et celles de Clément IV et d’Honorius IV) ; de Benoît XIII (Pierre de Luna, bulle Etsi doctoris gentium, 3 mai iltib) ; du concile de Bàle, ses. xix. Les rois de France Philippe le Hardi (1284) et Philippe le Bel (1308) publièrent des ordonnances contre le Talmud.

S’il fallait s’en rapporter à Galatinus, Opus de arcanis catholicæ verUatis, I, vii, Bàle, l550, p. 26, Clé.me.nt V, avec ra])probation du concile de Vienne (1311), aurait décidé thalinudicus Judæorum libros per fidèles hebraicam linguam callentes in latinum sermonem traducendos atque chrislianis publiée légendes esse ; il cite, à l’appui de son dire, la décrétale fnler sullicitudines. Clément., V, 1, i. Bartolocci, Bibliolheca magna rabbinica, t. 111, p. 744-/45, cf. ; 46, flit 1U6 Clément V, ordonnant l’érection de chaires d’hébreu, d’arabe et de chaldéen, dans les principales Universités d’Europe, veut qu’on traduise, non pas le Talmud, mais les livres de grammaire composés en ces langues, alin que les élèves soient en mesure de les apprendre convenablement. En réalité, le texte de la décrélale porte qu’il doit y avoir, dans ces Universités, deux maîtres experts dans chacune de ces trois langues, qui scholas regant inihi, et, libros de linguis ipsis in latinum fideliter transferentes, alios linguas ipsas sollicite doceant. Il est donc simplement question, d’une façon générale, de traduire en latin des livres hébreux, arabes et chaldéens. Le Talmud n’est pas mentionné, et, comme il était défendu par ailleurs, rien n’autorise à croire que le pape en approuve l’usage dans l’enseignement des Universités. Mais, si Galatinus élargit la décision pontificale, Bartolocci semble la restreindre quand il détache les mois : libros de linguis, et entend, par là, les traités de grammaire.

37. Après 1500. — Les livres juifs bénéficièrent d’abord du mouvement de la Renaissance. Léon X pensionna des Juifs convertis qui se préoccupaient de les traduire et de contribuer ainsi aux progrès de l’exégèse ; il s’intéressa à la publication du Talmud. Un juif converti, qui devait mal Unir, Pi-ei-i’erkorn, ayant, dans non Judenspiegel (Miroir des Juifs, 1607), invité ses anciens coreligionnaires à renoncer à la lecture du Talmud, obstacle à leur conversion, et engagé les chrétiens à détruire les « faux livres juifs », Jean Rbuchlin protesta qu’on ne devait anéantir, après un jugement régulier, que les livres ouvertement dangereux, que le Talmud, mélange d’éléments divers, était susceptible de rendre témoignage à la vérité. Un violent libelle de PrEiPEu-KORN, fJer Ilandspiegel (Le miroir à la main, lûii).