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JUIF (PEUPLE)

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qu’il faut signaler : c’est le caractère tout abstrait de cette théorie. Le Dieu de la philosophie n’aura rien de la personnalité si accusée et si vivante qui signale le Dieu d’Israël. Ce sera avant tout une idée, un concept de l’esprit qui, de ce fait, demeurera toujours un peu vague et imprécis ; on parlerait ici plus volontiers de divin que de Dieu. — c) L’une des raisons de cette indécision provient de l’impossibilité où se trouvaient les philosophes grecs d’identifier leur dieu avec aucun des habitants de l’Olj’mpe. Quand les prophètes d’Isracl prêchaient au nom du vrai Dieu, ils n’éprouvaient aucune peine à se faire comprendre. Le Dieu dont ils parlaient avait un nom, et ce nom était connu de tous leurs auditeurs ; le Dieu des prophètes était Yahweh, tout comme le Dieu (lu peuple. Les prophètes se bornaient à en rappeler la vraie nature à des âmes vulgaires qui en avaient perdu le sens. En Grèce, les philosophes ne pouvaient faire de même. Les divinités de l’Olympe étaient légion ; aucune d’elles d’ailleurs ne se présentait avec des titres assez nobles pour qu’un Platon ou un Aristote la puissent choisir comme incarnant l’idée du divin à laquelle ils s’étaient élevés. C’est ce qui fait que leur thcodicée demeura toujours abstraite. — d) Enfin cette conception intellectualiste n’eut jamais rien d’une religion. Les philosophes eux-mêmes ne songèrent point à un apostolat qui la ferait sortir du cercle restreint de leurs disciples. Bien plus, ils ne c «-aignaient pas de professer que, dans la pratique, il valait mieux s’en tenir aux usages traditionnels. A ce point de vue, les penseurs grecs demeurèrent aux antipodes des prophètes d’Israël. Ceux-ci furent avant tout des apôtres, des réformateurs de la religion du peuple ; leur doctrine n’eut jamais rien d’ésotérique et si, à certaines heures, ils se résignèrentà ne pas faire entendre leur voix au del, i du groupe de leurs disciples, ce fut uniquement lorsque des circonstances extérieures, la persécution en particulier, les y contraignirent (Cf. H. F. Hamilton, riie people of God, an inquiry inlo Christian origins ; ï, Israël, p. 19-85).

2" Le monothéisme juif ne trouve pas son explication dans les conditions naturelles du peuple israélite. — a) D’ajirës ce qui précède, il est évident que le monothéisme juif n’est pasd’importation étrangère. — v) On reconnaît aujourd’hui que le nom même de Yalnveh n’est pas d’origine assyrobabjlonienne (cf. Hkun, op. laud., p. 230-250 ; CoNDAMiN, op. laiid., col. 872, 3^3). —, 3) Ce que la Bible dit des rapports des Israélites avec les Madianites et les Cinéens ou Qénites (Ex., 11, 15-22 ; iii, i ; îv, 19 ; xviii ; A’nm., x, 29-82 ; cf. Jud., i, 16 ; iv, 11, 17 ; I Sam., XV, 6 ; 1 Chron., 11, 55 (cf. II lieg., x, 16-17 ; Jer., xxxv|) ne permet pas de conclure que les lils de Jacob leur aient emprunté le nom et le culte de Yahweh. — /) Les théories du Canon Cheyne (cf. Cheynk, Tlie Veil of Hel/reu’flislori-, a further aliempt to lift it, 1918), qui va chercher l’explication des origines d’Israël, de sa religion, de presque toute son histoire, parmi les tribus arabes campées à l’est du golfe élanitique, ne méritent guère qu’un succès de curiosité.

/’) Mais, si le monothéisme est sorti d’Israël, peut-on dire que ce soit à raison des propensions spéciales, des aptitudes de ce peuple ? Rien n’est moins attesté par l’histoire. — a) Les fils de Jacob vécurent d’abord à l’état nomade. Mais il }’a bon temps que l’on est revenu de cette idée, mise en vogue jiar Henan, que le désert est monothéiste. L’histoireancienne i)rolestecontre une pareille assertion. On ne trouve chez aucun peuple nomade, notamment chez aucun peuple sémite, la croyance

exclusive à un seul Dieu ; ainsi en est-il en jiarticulier dans les tribus arabes, antérieurement à l’inlluence islamique. Bien plus, qvuind on remonte aux origines des peuples civilisés, on remarque souvent que des tribus auparavant nomades ont mis en commun leurs dieux en même temps que leurs intérêts sociaux et politiques. Ce qui est vrai, c’est que la vie simple du désert ne favorise pas l’éclosion d’un panthéon très fourni et qu’en ce milieu la religion aboutirait plus facilement peut-être au monolâtrisuie qu’au polythéisme ; encore faudrait-il remarquer que le dieu serait à peu près constamment accompagné d’une divinité parèdre. Ce qui est vrai encore, c’est que la vie sous la tente communique à ceux qui la mènent une certaine antipathie pour tout ce qui tient à l’existence plus raflinée, plus somptueuse, des sédentaires ; de ce chef, le nomade pourra manifester d’abord de la défiance pour les formes de culte plus compliquées, plus extérieures et aussi plus relâchées, qu’il remarquera chez les sédentaires. Mais, hélas ! cette répugnance ne sera pas plus persistante dans le domaine religieux que dans le domaine social, et bien vite le bédouin, en changeant de condition, sera victime des tares diverses de la civilisation. — /S) Nous savons ce qui advint d’Israël en Canaan : il se laissa gagner par le culte païen, il se laissa attirer par les idoles et, pendant de longues périodes, il ne comprit rien aux véritables exigences de son Dieu. Jamais, dans la suite, sinon ajirès des reformes dont les elTets furent peu durables, Israël, pris dans son ensemble, n’apjiartint réellement à Yahweh ; quand les prophètes voulurent retrouver une période de conformité à leur idéal, il leur fallut, par delà les longs siècles de l’établissement en Canaan, porter leur regard sur le temps des migrations du désert (Os., xi, i sv. ; cf. II, 16 ; Jer., II, 2, 3 ; Ez., xvi, 8-14). — /) En fait, à partir de l’arrivée en Palestine et jusqu’aux derniers âges de son histoire, il y eut en Israël un double courant religieux. La masse du peuple, la masse de ceuxqui suivaient leurs instincts, ne s’éleva guère au-dessus du niveau des n.itions polythéistes, ses voisines. Elle comprit Yahweh tel que les Cananéens comprenaient leurs Baals ; elle l’honora comme il les honoraient ; et comme ils le faisaient aussi, elle se montra toujours prête à associer à son Dieu toutes sortes d’autres divinités. Le monothéisme fut presque constamment l’apanage d’une minorité. Ceux qui la composaient eurent beau multiplier leurs efforts ; ils ne purent en général faire rayonner leur influence que d’une manière très restreinte. Même après la dure épreuve de l’exil, le Judaïsme ne parvint pas à rallier tout Israël au vrai culte de Yaliwoh ; ce que la Bible nous dit de l’époque des Macchabées nous montre qu’avec des modalités différentes Israël manifestait aux teuq)s helléniques exactement les mêmes instincts et les mêmes tendances qu’aux époques de l’influence assyrienne ou cananéenne.

c) — k) Le monothéisme hébreu dut sa naissance et ses développements à l’action d’un certain nombre de personnalités qui se posèrent ncltement à rencontre delà niasse, et qui réussirent à faire admettre leurs idées par un groupe plus ou moins étendu de disciples. La présence de ces grands réformateurs consiilue cncurc une des particularités de la religion israélite. On ne trouve rien de iiareil ni en Assyrie, ni ilans les autres Jiays sémites : là où régnent les cultes naturistes, il n’y a qu’à laisser le |)eui)le suivre ses instincts ; il se conformera toujours aux exigences de dieux qu’il a faits à son image. De toutes ces liersonnalités, celle qui davantage ilomine l’histoire de la religion juive est celle de Moïse, et il faut