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JONAS

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s’il fait rire le public, il a conscience d’avoir contribué à alTrancbir la raison. Beaucoup de lidéles, émus de ces attaques, demandent : o Est-on tenu de croire que Jonas a été trois jours et trois nnils dans le ventre de la baleine ? » C’est exactement la nicmequestion que l’on posait à saint Aufrustin : « quid sentire debcnius de Jona, qui dicitur in ventre ceti triduo fuisse, quod à-ii’y.i-yj est et incredil)ile… Hoc enim genus quæsllonis multo cacbinno a paganis graviter irrisum animadverti » (Episi. eu, qiiæst 6" ». Migne, P. L., t. XXXIIl. col. 382).

2. Objection littéraire : Le cantique de Jonas. — Dans une prière rytliraée, Jonas rend trràces à lalivc de l’avoir sauvé d’un grand danger de mort. Mais, au moment où il s’exprime ainsi, Jonas est encore dans le ventre du poisson (ii, 2 et ii) ; il n’est donc pas délivré de tout péril, tant s’en faut. Ainsi, le ton du cantique ne conviendrait guère.

De plus, on signale dans ce chant un manque absolu de couleur locale il est question de flots, de vagues, d’abîme des eaux, d’algues marines autour de la tête ; il n’est pas fait la moindre allusion à la situation présente du prophète dans le ventre du monstre marin, laquelle pourtant ne semble pas moins dangereuse que la submersion dans la mer.

On fait remarquer aussi que ce cantique est composé presque tout entier de fragments de psaumes, dont quelques-uns sont d’une époque assez basse, ce qui empêcherait de le faire remonter, avec beaucoup de commentateurs anciens.auvni’siècle avant Jésus-Christ.

3. Objection historique : La conversion de I’ini-e. — Au sentiment de plusieurs, c’est la dillieulté principale. » De tous les cléments du récit, dit Reuss, celui de la conversion des Xinivites est le plus indubitablement fictif et de pure invention… Les autres écrivains hébreux non seulement n’en savent rien, mais parlent toujours de cette ville et de ses habitants dans un sens diamétralement opposé. » Le ch. m du livre de Jonas nous montre, dans la vaste capitale de l’empire assyrien, le peuple et le roi convertis en très peu de temps par la parole du prophète hébreu (ils se convertissent « de leur conduite mauvaise », expression un peu vague, d’où il ne suit pas qu’ils aient embrassé la religion de lalivé). Le roi « se couvrit d’un cilice et s’assit sur la cendre » ; par décret royal un jeune fut imposé aux hommes et aux animaux (ni, 6. 7). A quelque époque de l’histoire de Ninive que l’on place cet événement, pareil résultat n’aurait pu se produire, semble-t-il. qu’à force de miracles, et dans un laps de temps assez considérable, pour vaincre l’opposition des grands, des conseillers du roi. l’inllurnce du collège sacerdotal si puissant, si savamment organisé. Mais, si l’on s’en tient au texte, Jonas profère une menace, et cela suflil : « Encore quarante jours et Ninive sera détruite. Et les gens de Ninive crurent en Dieu… » Sans doute, si l’on en appelle à la toute-puissance de Dieu, ce n’est pas impossible ; et même les Ninivites auraient pu se convertir par la seule présence de Jonas dans leurs murs, sans qu’il eût à dire un mot…

La difficulté augmente avec les dimensions prodigieuses données à Ninive au verset 3 : la ville

« avait trois jours de marche, non pas. comme saint

Jérôme l’expliquait déjà, en circonférence (tanti anibitus ut vix trium dierum posset ilinere circumiri), mais en diamètre, comme le veut le contexte (. /|) » (VanHoonacker ; — de même Novack, Ed.Tva’nig, etc.). Comment, perdu dans cette immense cité, un étranger pouvait-il, en si peu de temps, attirer l’attention d’une manière aussi efficace ?

Enfin, contre ceux qui attribuent le livre à Jonas, fils d’Amitta’i (Vf Reg., xrv, aS), au temps de Jéro boam II (780-745). les mêmes critiques insistent sur l’expression « Ninive était une grande ville » (in, 3), qui prouve qu’au temps où l’auteur écrivait, Ninive n’existait plus (ruine de Ninive en 607 ou 606).

4. Objection théolo^ique : Les sentiments du prophète. — Cette difficulté est présentée avec force par S. Grégoire de Nazianze : « Comme je l’ai entendu dire à un homme compétent en ces matières, qui corrigeait sans absurdité l’absurdité apparente de cette histoire (oOz àrà’ ::^^’i’yr, Oo-jvrc~ rû oy-vj^iji-j’^^ t< ; (trrcsiK ; irsTTt.)), et qui était capable de saisir la pensée profonde du prophète. Jonas ne prit pas la fuite par crainte de voir Ninive se convertir, et de passer alors pour menteur. » Il est invraisemblable que Jonas. étant prophète, ait ignoré le dessein de Dieu », de procurer par ses menaces le salut des Ninivites,

« ou que. l’ayant connu.il ait refusé d’obéir à Dieu ».

Quant à penser « qu’il ait voulu se dérober aux regards de Dieu par la fuite, c’est tout à fait absurde, inepte et incroyable non seulement de la part d’un prophète, mais de tout homme de bon sens qui a quelque idée raisonnable de Dieu et de sa toute-puissance. Mais Jonas connaissait mieux que personne (disait cet homme, et je le crois) le but de sa prédication aux Ninivites >> et l’inutilité de sa fuite… On va voir, un peu plus loin, la solution dont parle S. Grégoire.

Mais dans le ch. iv, plus encore que dans le ! ", l’attitude du prophète paraît inconcevable, dit-on, s’il s’agit d’une histoire réelle. Comment admettre, en effet, que Jonas, après avoir par sa seule parole converti très rapidement le roi et toute la population d’une ville immense, « se fâche à cause de ce succès inouï, dont aucun autre prophète n’a jamais pu se vanter » (Heuss), et qu’il se plaigne amèrement delà miséricorde de Dieu et du pardon accordé au repentir cl à la conversion des Ninivites ? Etait-ce par crainte de passer pour menteur ? Mais la menace d’une ruine pour la ville coupable était conditionnelle (si l’on ne se convertit pas) ; et les Ninivites le comprennent ainsi, puisqu’ils font pénitence. Ou bien, par une haine implacable, le prophète voulait-il absolument pour ce peuple la ruine dans l’impénitence, au lieu du salut après la conversion ? Et après la manifestation de la volonté de Dieu, en face de la ville convertie, il persévérait dans ces dispositions ? L’histoire d’Israël n’olfre point d’exemple d’un prophète animé de pareils sentiments.

II. Réponses aux objections dans l’exégèse traditionnelle. — i. Contre ceux qui font des dilliciiltés au sujet du premier point, saint Jérôme argumente ainsi : Ou ce sont des fidèles, et ils seront tenus de croire des choses plus difliciles, comme la conservation des trois enfants dans la fournaise ardente, et d’autres grands miracles racontés dans la Bible ; ou ce sont des infidèles, et alors, qu’ils lisent les Métamorphoses d’Ovide, qu’ils se rappellent la mythologie grecque et latine : et, s’ils croient aux merveilleuses turpitudes des faux dieux, qu’ils ne mettent pas en doute la puissance du vrai Dieu (In Jon., II, 2 ; P. /.., t. XXV, col. m32). Saint Augustin, dans la lettre citée plus haut, répond de la même manière, Tiiicophylacte se sert aussi de l’argument nd hnmini’m contre les disciples de la sagesse grecque qui refusent d’ajouter foi à l’histoire de Jonas : « A’ous admettez pourtant dans la légende d’Hercule un fait absolument semblable » (/’. G., t. CXXI. col. 932), Ce raisonn<-iiient, aujourd’hui encore, ne manquerait pas de force contre nombre d’incroyants, très crédules pour un autre genre de merveilleux.

« Le vulgaire fait assez communément du poisson