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JÉSUS CHRIST


Toute union profonde, et tendant à devenir immédiate, avec Dieu, implique en effet, si elle veut être réelle et fondéeen vérité, une vue, d’abord accablante, de la dislance qui sépare le créé de l’Incréé. Unir un esprit hésitant, incarné, rivé au sensible dans ses connaissances, attiré en bas par son corps et son attache au créé, toujours en mal de changement et de désir, unir cet esprit (à peine esprit) à l’Esprit pur, à l’Éternel, à celui qui n’est qu’Acte et Perfection, à celui que l’on n’atteint que par l’impuissance du reste à exister sans lui, que l’on ne pressent qu’à travers l’inanité de ce qui passe, que l’on ne voit que dans ses reflets et son ombre : tel est le paradoxe mystique.

Le christianisme et, dans sa mesure, la religion d’Israël, exaspère encore le conflit. L’homme n’est pas seulement un éphémère, un être de chair, un néant : c’est un coupable, c’est un ingrat, c’est un décliu. Dieu n’est pas seulement le Bien incréé, le Beau sans ombre, l’Éternel : il est le Père, il est l’Amour, et l’Amour offensé. Quelle apparence d’unir ceci à cela ? Chaos magnum /irmatuni est. Or, c’est justement à ce point que commence, chez les mystiques orthodoxes, la vie supérieure, la a seconde vie 1). Elle débute ordinairement par une vue perçante, redoutable, accablante, de ce double abîme, d’indignité ici, et là de souveraine sainteté : Dieu est le Bien unique, et ce bien m’est inaccessible I Le péché achève de murer l’accès, il rend impossible une union que la bassesse de la chair semblait, à elle seule, interdire ! De ce vertige, les paroles des grands voyants d’Israël, depuis Moïse jusqu’à Isaie, Jérémie et Ezéchiel, portent les traces manifestes. Les plus hauts mystiques chrétiens l’ont à leur tour éprouvé, comme si, avant d’entrer dans la « ténèbre divine » leurs yeux avaient besoin d’être dessillés à cette flamme.

Il s’ensuit naturellement en eux tous un désir, une soif.un impérieux besoin de purincation, de spiritualisation ; tout candidat à l’union mystique se double d’un ascète et d’un pénitent. Il lui faut se dégager des soins matériels, mater ce corps rebelle et pesant ; il doit marelier per ungusla ad augusia. Et l’on sait jusqu’où ont avancé dans cette voie les plus grands serviteurs de Dieu, les plus authentiques disciples du Christ.

166. — Or (et c’est là le trait le plus étonnant, le trait incommunicable de la religion personnelle de Jésus) il n’y a dans son âme aucune trace de ce trouble, de ce vertige, de cette sainte colère contre soimême nés, d’une part, de la vue de notre néant, d’autre part, de la vue de notre indignité positive. Les plus purs n’échappent pas à ce besoin, ne se soustraient jias à cette probation : une Catherine de Sienne, un Stanislas de Kostka. Mais on cherclie en vain dans nos évangiles un vestige de cet effroi, de cette horreur sacrée qui accompagne et approfondit chez les plus grands saints l’impression directe de Dieu. Non que le Maître ressentit moins cette impression, tant s’en faut : mais il possédait dès l’abord en perlection cette pureté complète, cette ressemblance, cette

« connaturalité » avec l’Etre divin, vers laquelle

s’achemine l’extrême perfection de la vie mystique, d’autant plus calme, apaisée, lumineuse, qu’elle s’élève davantage.

De même, hormis le long jeune initial, qui le mettait dans la grande tradition prophétique, Jésus n’a jamais été, que nous sachions, un pénitent, et toute l’ascèse qu’il pratique est exemplaire. Pas une hésitation, pas un mot de repentir ou de désaveu ; jamais d’intercession cherchée entre son Père et lui ; aucune allusion à une faute passée, à une (( conversion », à un changement de vie, non plus qu’à une perfection

ultérieure désirée ou recherchée. Vivant de sauterelles et de miel sauvage, habillé de poil de chameau, Jean-Baptiste fut un grand pénitent, « ne mangeant ni ne buvant ». Jésus o mange et boit ». Les disciples de Jean étaient astreints à des jeûnes sévères, et ceux de Jésus auront aussi 1* pratiquer la pénitence pour leur compte ; leur qualité « d’amis de l’Epoux " ne les dispense pas de cette obligation. Mais « tant que l’Epoux est avec eux, peuvent-ils s’affliger », se livrer à la mortitication ?(( Viendront des jours durant lesquels la présence de l’Epoux leur sera retirée : alors ils jeûneront » (Ml-, ix, 15). A combien plus forte raison l’Epoux n’a-t-il pas à faire pénitence 1

167. — C’est un homme sans doute ; les deux évangiles où la touche du témoin oculaire est le plus accentuée, le second et le quatrième, multiplient de ce failles indicesles plus concluants, les plus touchants aussi :

Va il rentra dans la synaj^^ogue. Or, il y avait là un homme ayant la main desséchée, et les sciibes observaient Jésus pour voir s’il le guérirait un jour de sabbat, afin de l’accuser. Il dit à l’homme ayant la niain desséchée ; ({ Lève-toi, viens au milieu !)) Puis il leur dit : « Est-il ]>ermis, les jours de sabbat, de faire le bien, ou [faut-il] faire le mal ; de sauver une vie ou [faut-ilj tuer ?)i Eux se taisaient. Lors jetant sur eux, avec indignation, un regard circulaire, navré de la dureté de leur cœur, il dit à l’homme : « Etends ta main. » Il l’élendil et sa main fut rendue à la vie. A/c, iii, t-6.

Et sortant de là ils cheminaient à travers la Galilée, et [Jésus] ne voulait pas que personne le sût… Us vinrent à CapharnaUm, et entré dans la maison il les interrogeait ; (( De quoi discutiez-vous pendant la route ? » Eux se taisaient, car ils avaient discuté entre eux, pendant la route, qui était le plus grand. S’étant donc assis, il appela les Douze et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous et de tous le serviteur, il Et prenant un petit enfant, il le fit mettre au milieu d’eux, et après l’avoir embrassé il leur dit : « Quiconque accueillera un de ces petits en mon nom, m’accueille, et celui qui m’accueille — ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé ! » Mc, it, 30-, ’18.

C’est le même homme que nous peint l’évangile spirituel de Jean, dont le programme est pourtant de montrer en Jésus le pain céleste, la vie et la lumière du monde. Le Maître ne laisse pas d’être

« chair » et de le manifester : il pleure, il prie, il est

recru de fatigue et de faim, il a ses préférences et ses angoisses, il s’indigne et s’émeut, s’enthousiasme ou se consterne.

Ce disant, Jésus se troubla en esprit et protesta et dit :

« En vérité, en véi-ité, je vous déclare qu’un de vous me

livrera ! » Les disciples se regiirdaient les uns les autres, incertains duquel il parlait, L’n de ses disciples était étendu à table près de Jésus, dans son sein, celui que Jéius aimait. Simon Pierre lui fait donc signe de la tête et lui dit : « Qui est celui dont il parle.’» S’inclinant sur la poitrine de Jésus, ce disciple lui dit : V Maître, qui est-ce ? » Jésu* lui répond en conséquence : ((Celui auquel je donnerai la bouchée de pain que je trempe. » Trempant donc une bouchée de pain, il la prend et la donne à Judas, fils de Simon l’Iscoriote. (Et après cette bouchée, c’est alors que Satan entra en lui.) Jésus lui dit donc ; « Ce que tu fais, fais-le au plus vite. » Mais cela, personne de ceux qui étaient étendus à table ne sut pourquoi [Jésus] le lui dit. D’aucuns pensaient, parce que Judas avait la bourse, que Jésus lui dit : « Achète ce dont nous avons besoin pour la fête ii, ou qu’il donni’it quelque chose aux pauvres. Ayant donc pris la bouchée, [Judas] sortit incontinent. II était nuit. Jo., xlil, 21-31.

168. — Mais cet homme, à qui rien d’humain n’est étranger, est étranger au mal, auregrcl et au remords. S’il s’agit de repentir et de pardon, de péché ou de componction, c’est à propos d’autres., lésus exhorte à la pénitence etne se repent pas ; il recommande la