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JESUS CHRIST

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le problème du Clirist, aux facilités que se donnait Renan, et que tant d’autres ont prises. D"un développement dans l’idée que se faisait Jésus de sa personne, pendant sa carrière publique, il n’y a pas trace. Ce qu’on appelle à présent la « conscience messianique de Jésus » apparaît, dès le premier moment, chose formée et parfaite. Simple constatation, devant laquelle croule cet échafaudage de subtile psychologie s’évertuant à expliquer comment, en suite de quelles suggestions, de quelle pression des hommes et des choses, le doux prédicateur du Royaume, le modeste prophète de Nazareth en serait arrivé aux déclarations messianiques — et plus que messianiques — de la un. Les auteurs les plus divers, et jusqu’aux rationalistes déterminés, ont dû reculer sur ce point devant l’évidence des faits. « Marc, dit brutalement Albert Scuweitzer, ne sait rien d’un développement ; il ne sait rien des considérations pédagogiques qui auraient décidé l’attitude réservée de Jésus en face de ses disciples et du peuple ; il ne sait rien du conflit qui se serait livré dans le coeur de Jésus entre une idée messianique toute spirituelle, et une autre, politique et populaire, etc.’» Avec plus de nuances, et un plus juste sentiment de l’économie dans la manifestation messianique de Jésus, M. W. Sanday ^ et M. Adolphe Harnack’ne sont pas moins aflirmatifs sur le point capital’. M. LoisY observe même que les faits eussent dû peser dans le sens inverse de celui que conjecturent les historiens libéraux, et décourager, loin de l’exalter, le premier enthousiasme du Maître’.

161. — Nous voyons Jésus en effet, dès le début de sa prédication, penser, parler, agir en Messie : qualis ah incepto. L’histoire évangéliquc s’ouvre par le récit de la tentation : or cette tentation est essentiellement et, pour ainsi dire, spéciQquement messianique. Tout le but du tentateur est de faire dévier dans le sens égoïste, charnel et prestigieux un appel dont le tenté a pleine conscience. Aussitôt après, à Capharnaiim comme à Nazareth, Jésus décide, enseigne d’autorité, s’applique les prophéties anciennes, chasse les démons, s’attache des disciples (qu’il élève à la dignité de « pêcheurs d’hommes »), remet les péchés, guérit, dispose souverainement des observances légales. Nulle trace d’atermoiement,

1. Von Reimarus zu Wredt, Tilbingen, 19efi, p. 329.

2. The Life nf Christ in récent research, Oxfonl, 1907, p. 97, 99 stiq.

3. L’Essence du Christianisme, tr. fr. de 1907, p. 169, 170.

4. On petit voir d’autres nuleurs, M.M. U. Monniek, J. Wellhausen, F.-C. BuRKiTT, cités dans le même sens par J. Lebreton, Origines^ p. 216, 217 et notes.

Ceux des contemporains qui croient devoir maintenir l’existence d’un développement de 1k conscience messianique de J(’9U8, pendant sa vie publique, appuient cette conjecture sur des vraisemblances psychologiques (elles-mêmes commandées par leur thèse) et non j-ur les textes. Voir par exemple le Jésus de W. HeitmiU-I-kr, Tiibingen, 1913, p. 86 sqq. : « N’ers la fin de ta canière publique [de JésosJ se multiplient les indices de conscience messianique. Nous ne savons donc rien sur le moment où elle s’est formée : nous pouvons conjecturer que cette conscience de sa dij^’nité messianique s’e^t fait jour on lui au cours de son ministère, vers la fin. Sur la façon dont s’accomplit cette illumination, nous ne savons rien non plus… »

." ». Les Evangiles synoptiques, CeiTonds, 1907, I, p. 212 :

« On ne voit pas bien comment les expériences faites par

Jésus auraient pu l’amener à se croire Messie, dans le cas où il n’en aurait pas été d’abord persuadé. Les difficultés qui ne tardèrent pas à compenser les succès, auraient plutôt suggéi’é le doute que la certitude… Les Evangiles ne contiennent pas réellement le témoignage d’une évolution qui se serait accomplie dans lu conscience du Sauveur, w

d’hésitation, de crainte ; nul vestige d’une vocation entrevue, combattue, finalement acceptée De plus, et cela est décisif, Jésus domine, à tous les moments, son message : il n’est entraîné en aucune mesure par les espérances, les enthousiasmes, les oppositions qui se font jour. Selon le mot de saint Paul, o son esprit lui est soumis ». Il impose silence aux énergumènes, ferme les lèvres des miraculés, fuit les honneurs royaux, attempère son action aux dispositions de SCS auditeui’s, aux circonstances et aux opportunités. U défend à ses disciples de dire qu’il est le Messie. Bref, le seul développement qu’on puisse constater dans les évangiles, c’est la croissance, dans l’àme des disciples, de leur foi en leur Maître — nullement celui de la foi du Maître en sa mission.

Cette première remarque posée nous amène à l’élude directe de ce que fut en réalité le témoin.

1. — La religion de Jésus

162. — » Après avoir à bien des reprises et en bien des façons parlé à nos pères par ses prophètes. Dieu en ces derniers temps nous a parlé par le Fils… Moïse a été fidèle dans la maison de Dieu, comme un serviteur, pour dire ce qu’il avait à dire : le Christ a été lîdèlc comme un fils, dans sa propre maison. » Ces paroles de i’Epitre aux Hébreux formulent excellemment la doctrine mainte fois inculquée par le Maître en personne, notamment dans la parabole des méchants vignerons : voyant ses serviteurs méprisés et maltraités, le père de famille se ravise : « Ils respecteront mon fils 1 »

Là est la clef qui ouvre l’intelligence de la vie religieuse de Jésus : il est le Fils unique et bien-aimé’.

Nul assurément ne poussa plus loin le respect du Père céleste. Nul ne donna de lui une idée plus épurée, plus spirituelle et plus profonde. Jésus repousse, d’un mot péremptoire, la proposition sacrilège de tentateur : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras, lui seul ! » La formule de prière qu’il inculque à ses disciples est toute orientée vers la gloire de Dieu :

« Notre P.re qui êtes aux cieux, 

Soit sanctifié votre nom.

Advienne voli’e Royaume,

Soit faite voti-e voloi^té

Comme au ciel, ainsi sur la terre… » Mt., vi, 9-11.

Jésus exige qu’on rende à César ce qui est à César, mais d’abord à Dieu ee qui est à Dieu. Non au Dieu des philosophes et des savants, mais au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, au Dieu vivant, au

« Dieu des vivants » (Mt., xxii. Sa) ; au Dieu parfait, 

qui veut des enfants à son image ; au Dieu de miséricorde, dont la providence vêt le lis des champs et nourrit les oiseaux du ciel ; au Dieu intérieur qui voit dans le secret et fait justice au cœur ; au Dieu saint que les cœurs purs et la droite simplicité des petits découvre sans peine derrière le voile transparent des choses ; au Dieu juste qui agrée l’hommage sincère et non les grimaces, qift exauce l’appel implicite et dédaigne les longs discours non informés de foi et d’espoir.

Qu’un Pharisien, docteur de la Loi, l’interroge pour le tenter : « Maître, quel est, dans la Loi, le grand commandement ? » Jésus lui répond par les paroles qui étaient le joyau et la gloire d’Israël :

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, 

1. Sur l’équivalence de ces épithètes : ir/ar.r.TOL, préféré par les Synoptiques, et //2 » v/sv/ ::, par saint Jean, on peut voir la savante note de J. Lebreton, Origines, p. 244, note 2.