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JÉSUS CHRIST

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n’étaient commandés par un fonds de rationalisme inavoué, pour « sauver » le christianisme sans proclamer que Jésus est le Fils de Dieu. Position instable, moins tenable logiquement, bien que religieusement plus féconde et plus respectueuse des faits, que la position nettement rationaliste, qu’il faut exposer à présent.

3. — Le Christ de l’exégèse rationaliste.

184. — L’interprétation naturaliste des origines chrétiennes est devenue moins aisée, plus complexe et plus subtile, à mesure que l’historicité fondamentale des évangiles s’est imposée davantage. Le progrès qui s’est affirmé en ce sens depuis D. F. Strauss et F. G. Baur a rendu singulièrement plus délicate la tâche de leurs successeurs — La réponse de ceuxci est pourtant très nette : Jésus n’a été qu’un homme, sujet comme tel à toutes les faiblesses, erreurs, illusions de l’humanité, à toutes les limitations de son temps et de sa race.

Restent les textes, reste le fait chrétien. Tout rationaliste conséquent, surtout s’il est partisan (et ils le sont tous), de la théorie de l’évolution, doit dire que l’interprétation traditionnelle est fondée sur un malentendu, que la solution donnée au problème du Christ par la première génération chrétienne, et depuis acceptée par des milliards d’êtres humains, attestée par des milliers de martyrs, de sages et de saints, est une solution illusoire, irréelle, un cas d’évhémérisme caractérisé.

ISS- — Pour expliquer le fait générateur, qui est le témoignage du Christ sur lui-même, deux voies sont ouvertes. Dans la première, acceptant l’historicité générale des documents évangéliqnes, l’auteur met toute sa subtilité à restituer, avec un minimum d’illusion et de fraude, la suite des états d’âme qui auraient amené Jésus à croire et â dire qu’il était le Messie, Fils de Dieu. En dépit du ton d’ironie condescendante qui rend son récit choquant, je ne pense pas qu’aucun écrivain rationaliste ait dépensé, à exposer cette thèse, plus d’experte virtuosité qu’Ernest Renan. Sa F(> de Jé.fi/s, par tant de côtés superficielle et décevante, conserve par là quelque intérêt. Il a gardé le moins mauvais des explications proposées avant lui, ajouté les siennes, et ceux qui ont repris depuis le problème, sur des données analogues, n’ont guère fait avancer, s’ils ne l’ont pas fait reculer, la solution.

186. — Pour Renan donc’, le sentiment que Jésus avait de son union au Père céleste, la réaction sur son esprit des prophéties anciennes opporlunénient rappelées, la pression des circonstances, l’enthousiasme des siens, la logicpie du succès, le besoin de répondre à l’opposition sournoise ou violente de ses adversaires, auraient amené le Maître à repousser mollement, puis à accepter, finalement à revendiquer un litre qu’au début il eût jugé blasphématoire de s’arroger. Sa légende s’élaborait de son vivant et lentement il se prenait à y croire. Bien des hommes sont ainsi débordés par leurs disciples ; pourquoi ne pas comparer Jésus à d’autres grands initiateurs de l’ordre religieux : le Bouddha, Slahomet ? Objecte-t-on que l’infatuation confinerait ici à la démence, on nous fait entendre que le Nazaréen n’était pas toujours dupe de ce qu’il disait ou laissait dire. Si l’on

absolu, par Wellliansen, de la profession de foi messianique de Jésus devant le Sanhédrin, de la responsio ntortifera. Raison : se déclai-er le Messie n’était pas un crime, ou un lilaspliéme. pour un Juif. Donc… J. Wnii hauseu, Das lù’angriium Marci. Berlin, l’.mi. in Mc, xiv, Hl-t ; 2.

1, 'Ki> de J< ?tHS ", ch. XT-xvn, p. 245-302 ; xix-xx, p. 320-348.

proteste au nom de la loyauté, Renan réplique par une ironique leçon de psychologie orientale ; puis, antici|)ant la théorie nietzschéenne des droits du Surhomme, il déclare qu’il faut reconnaître hautement plusieurs mesures pour la franchise, et qu’il nous sied mal de mesurer les grands hommes à notre aune, en les jugeant « du haut de notre timide honnêteté ». Vers la Un de l’ouvrage — et de la vie du Seigneur — on avoue l’exaltation : « Sa notion de Fils de Dieu se troublait et s’exagérait… la loi fatale qui condamne l’idée à déchoir dès qu’elle cherche à convertir les hommes s’appliquait à Jésus. Les hommes, en le touchant, l’abaissaient à leur niveau. Le ton qu’il avait pris ne pouvait être soutenu plus de quelques mois ; il était temps que la mort vint dénouer une situation tendue à l’excès, etc’… » — Pauvretés ? Impertinences’.' Tant qu’on voudra ! Mais je soutiens qu’il faut y venir en une assez large mesure, et l’on y revient, quand on veut maintenir jusqu’au bout l’explication rationaliste.

137. — Beaucoup plus minutieux et réservé que Renan, d’ailleurs analyste à outrance, M. Alfred LoisY ne réussit pas, dans ses derniers ouvrages*, à fournir une solution consistante du problème du Christ Je ne pense pas qu’on ait. depuis Strauss, tracé du Sauveur une esquisse i)lus fuyante. Cet exégète copieux, après avoir publié en cinq ans près de trois mille grandes pages de commentaires sur nos évangiles, n’arrive pas à prendre parti sur les points les plus clairs : on se croirait en face d’une de ces peintures évanescentes que les murailles de certaines catacombes perpétuent ])lutôt qu’elles ne nous les conservent.

L’exclusive qu’il donne (à la différence de Renan) aux textes historiques du quatrième Evangile^, les tr.Tits postérieurs, « théologiques », pauliniens, rédactionnels, qu’il découvre en nombre infini dans les récits des Synoptiques, les infiltrations païennes qu’il dénonce de plus en plus, la hantise apocalyptique et le simplisme qu’il prête au Maître en conséquence, amènent l’auteur à un appauvrissement systématique, et extrême, de la matière évangélique. Jésus se désigna-t-il sous le nom de Fils de l’homme ?

— On ne sait : « Si Jésus a employé quelquefois, pour se l’appliquer à lui-même, le titre de « Fils de l’homme », il n’y aura pas sans doute attaché d’autre signification que celle de Messie^… » Mais qu’entendait-il par Messie ? — Un roi des Juifs, « prince des élus, chef des bienheureux, [qui] devait présider à leurs joies, assisté de douze disciples qui siégeraient sur des trônes pour gouverner les douze tribus ^ » ; mais non pas un juge des vivants et des morts :

« tout au plus le Christ se présente-t-il en témoin » 

(au jugement]. — Et ce rôle, tout entier d’apparat

1. Vie de Jésus’p. 332, 333.

2. Dans VEi’aitfiile et l’Eiflise et les premiers commentaires qu’il en o donnés, M. Loisy s’exprimait en termes volontairement.imbi^’os : o Ln divinité du Christ est un dogme qui a prandi dans la conscience chrétienne, mais qui ti’avaitpas été expressément formulé dans l’iîvangile ; il existait seulement en germe dans la notion do Messie Fils de Dieu. » Autour d’un petit livre, p. 117. Cette formule captieuse a donné occasion à la proposition 27 rondamnée dans le Décret [.amenlabili (Encliiritiiitn^", n. 2027). Sur les variations de M. Loisy à cette époque, voir M Lepin, Les Théories de M. Loisy, Paris, I90*t, p. « 1-79.

3 Le quatrième Efan^ile, Paris, 1903 ; Les Ei’angiles synoptiques. 2 vol. Ceffnnds. 1907-1908 : toute la partie pénérale est reproduite dans Jésus et la tradition évangélique, Paris. 1910.

4. Jésus et la tradition éi’angelique, p. 167.

5. Ibid.. p. 162.