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JESUITES

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commanJer jusqu’au péché mortel inclusivement. Il règne par la délation, fjouverne par la crainte, fait et défailles lois, échappe à tout contrôle, même à celui du pape qui croit le diriger. Il est considéré comme l’organe mêaie de Uieu ; il tient ici-bas devant ses inférieurs la place de Dieu ; pratiquement il supprime Dieu. Aussi lui doit-on, comme à Dieu, soumission absolue, sans réserve. Il a droit à un acte de foi radicale. Il faut être entre ses mains « pennde ac cadiiver ». Obéissance cadavérique ; et aussi obéissance aveugle, car il faut supprimer toute intelligence, tout raisonnement.

« Avec cela, chose curieuse, ils croient être libres.

C’est qu’ils ont été matés par les Exercices, cette terrible machine qui fascine la volonté, l’anéantit, tout en laissant l’illusion d’une liberté plus ou moins complète. » (Heviie critique, 1906, II, p. ^58.)

Or, cet esprit d’obéissance contre nature, les Jésuites ne l’ont pas restreint à leur gouvernement intérieur : ils en ont fait l’esprit de l’Eglise catholique moderne. Par leurs innombrables collèges, ils l’ont, trois cents ans durant, insinué à des multitudes d’enfants. Us ont organisé pour eux une éducation superficielle, qui endort les volontés et dont le seul idéal est l’obéissance aveugle. Beaucoup d’ordre à l’extérieur, discipline rigoureuse, suppression de tout ce qui méritait aux collèges universitaires leur renommée de turbulence. Mais, sous ces beaux dehors, énervement de toute virilité.

« Des collèges, ces tendances ont passé dans les

masses catholiques. La conquête du monde par la servilité a eu son dernier aboutissement dans la définition de l’infaillibilité pontilicale. On peut dire que, depuis trois cents ans, du concile de Trente à celui du Vatican, ce sont les Jésuites qui ont fait l’Eglise romaine cequ’elle est aujourd’hui, obéissante, réglée, mécanique, mais sans vie, sans élan, sans pensée, sans progrès, solide uniquement parce qu’elle est immobile. »

a) (Icllp synthèse est-elle beaucoup plus résistante que la première ? D’abord la peinture du gouvernement de la Compagnie est une pure caricature. Ce gouvernement est fort et concentré, cela est vrai. Mais il est d’autant plus doux dans son exercice qu’il est plus ferme et plus sur de lui. Kn croira-t-on ceux qui en ont l’expérience ? L’obéissance qu’il exige dirige les initiatives généreuses, mais leur laisse un libre jeu.

De bonne foi, est-ce une vie d’hommes déprimés que celle de gens comme Canisius et Campion, Posse/in, Edmond Auger, Vieyra ? ou encore celle de missionnaires comme Iticci, Alexandre de Uhodes, Itolfcrt de Xobili, Brébeuf, Marquette, deSmcl ? Pour des automates, ces parfaits obéissants ont eu, ce semble, une existence d’une assez belle fécondité.

La discipline est forte chez les Jésuites. A-t-elle arrêté dans son essor quelque génie inconnu’? Oui le dira ? Mais qui dira aussi combien d’autres, dans l’apostolat ou sur le terrain de la pensée, eussent gagné en force à être tenus de jilus court par une autorité sévère ? Génies éloulTés par la discipline, génies brisés par abus de liberté, qui déterminera jamais de quel côté en définitive sont les plus grosses pertes ?

La conception de l’obéissance jésuitique n’est pas moins fantaisiste. On oublie que le « pcrinde ac cadnver » est une formule classique, déjà vieille quand saint Ignace l’a ramassée : on la trouve sur les lèvres de saint François d’Assise, et elle pourrait bien être plus ancienne encore, ("est une métaphore, entre beaucoup d’autres, qu’il faut interpréter.tvpc intelligence. — La fameuse lettre du saint sur l’obéissance a pu de même être commentée par Bbllahmin

avec des textes nombreux pris aux anciens ascètes et aux Saints Pères. Elle n’a rien que de traditionnel. De tout temps, l’obéissance a été considérée comme un élément capital de lu vie religieuse. Tout ce que l’on peut dire, c’est qu’Ignace a été amené par les circonstances à insister [)lus que d’autres sur ce point. Circonstances extérieures : l’esprit d’indépendance et de révolte qui souillait partout. Circonstances intérieures : la vocation si)éciale de ses religieux, obligés de beaucoup vivre au dehors et d’autant plus tenus à suivre les impulsions de l’autorité centrale que cette autorité leur laissait plus d’initiative.

— L’obéissance « jusqu’au péché mortel inclusivement w est une pure ànerie. Les Constitutions disent juste le contraire : il faut obéir « iibi peccatum non cerneretur » (P. 111, ch. i ; VI, ch. i).

A parler en général, rien ne fait mieux comprendre cette obéissance telle qu’elle ressort des documents, constitutions et lettres de saint Ignace, ou des commentaires ascétiques (IIodriguez, Perfection diretienne, eic), que l’obéissance militaire sur un champ de bataille, ou celle d’un marin sur son vaisseau : soumission exacte, scrupuleuse, mais en même temps joyeuse et intelligente.

Loin d’être un despote, le supérieur es un père quiconnaitses sujets pouravoir eu leurs confidences, pouravoir vécu de leur vie, près d’eux. Hier leur égal, aujourd’hui leur commensal, leur compagnon de toutes les heures, et qui demain rentrera joyeux dans le rang. Obéissance par laquelle on tâche d’identilier sa volonté avec celle de celui qui commande, d’entrer dans ses vues, de faire ce qu’il ferait si les rôles étaient renversés. Obéissance pleine de cœur et d’amour. Le soldat entend la voix de la patrie dans la voix du capitaine et le religieux celle de Dieu dans la voix du supérieur. C’est l’obéissance de volonté.

— Quant à l’obéissanee de jugement, elle consiste surtout à chercher de bonne foi par où le supérieur peut et doit avoir raison. Elle demande un effort de l’intelligence et aussi un effort de la volonté pour se mettre dans le calme et regarder les choses bien en face. Si, après examen sérieux, il semble que le supérieur .lit tort, rien n’empêche de lui faire ses observations : le cas est prévu. S’il n’en tient pas compte, le recours est toujours ouvert aux autorités majeures, et, en ce cas, le secret des correspondances est absolu. (Jue si l’ordre est maintenu, dans la vie religieuse comme dans la vie militaire, comme dans toute société bien réglée, il ne reste plus qu’à obéir. Obéissance aveugle alors, parce qu’on exécute le commandement du supérieur sans en voir le bien fondé, mais obéissance clairvoyante, paroe que l’on discerne les principes d’ordre supérieur qui exigent ce sacrifice des vues personnelles. Le soldat à qui une consigne malencontreuse serait donnée se dira : « Le bien de la discipline générale exige que j’obéisse. J’obéis non à mon ollicier qui se trompe, mais à la patrie. « Le religieux dira de même : « Je n’obéis pas à l’homme, dont l’illusion me [tarait évidente, mais à Dieu, qui exige que j’immole dans ce cas mes évidences à l’illusion du supérieur.)> Et les cas sont-ils rares, où, ex[)érience faite, l’illusion n’était pas là où l’on croyait ?

Exemple. Abrités derrière une permission des papes, les Jésuites de l’Inde et de Chine ont toléré chez leurs néophytes certaines coutumes où ils ne parviennent pas à voir d’idolâtrie. Après une prali ()ue déjà longue, ils reçoivent l’ordre de supprimer ces tolérances. Us sont liés envers le pape par nu vœu d’obéissance très spécial. Ce vœu leur défend-il. en des cas graves, de faire des représentations et < ! < solliciter des délais ? Ils ne le pensent pas, et ils poussent très loin l’usage de ce droit : car il leur