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JEANNE LA PAPESSE)

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Paris, 1899, t. V, p. 365-366. La papesse Jeanne était mise en avant, de façon inattendue, dans des débats qui paraissaient étrangers à la question de son existence. C’est ainsi que, au cours de la bataille engagée par les protestants contre la réforme du calendrier entreprise par Grégoire XIU, Luc Osiander, Bedenchen ob der iieue pnpstlisclie Kalender ein Nolldiirf/’ber der Chrisienheil sei, Tubingue, 1583, p. 19, disait : <i Le colporteur Grégoire s’est llatté de vendre ses calendriers aussi avantageusement qu’autrefois les indulgences. Il est accoucke du calendrier pour ne pas rester stérile ; avantWii, pour le même motif, le pape Jean VIII avait mis au monde un beau petit garçon. En réponse à Jean Pistorius, Anatomiae Littheri pars /, Cologne, 1695, Samuel Huber, Anliiort auf Ilans Pistorii sieben Tetiffel und unmenschliche nie aiich unchristliche Sclimeschrijft (sans indication de lieu), if196, fol. 3, disait que Pistorius a tirait sa nourriture du ventre et du sein de la papesse Jeanne ». Cf. Janssen, t. IV, p. 384, 438. On dénonça dans la papesse l’Anticlirist prenant possession du siège de Rome ; un commentateur de l’Apocalypse, Aretius, ministre de Berne, ; i^’k, s’est efforcé d’accommoder le 666, dont saint lean parle, à la papesse, comme si le lidele secrétaire de Dieu avoit voulu designer qu’au temps de cesle femme l’Anti-christ s’cmpareroit de l’Eglise », Florimond de Remond, J.’arili-papesse, p. 28-29. Cf.. du même, L’unti-christ, Paris, 1599. p. i^S-i’jg.

Cependant, la légende continuait de recevoir des développements. Il serait sans intérêt d’en préciser les détails. Qu’il suffise de dire que ces récils furent souvent contradictoires. Cf. Klorimond de Reiuond, L’anti-papesse, p. 5a-58, ih^-ib’i. Un savant, non sans mérites, mais que l’esprit de parti aveugla, ¥. Spanbeira, Disquisiiio historica de papa fotinina inter l.eonem IV et Benedictiim III, Leyde. 1691, et, mieux que lui, J. Lenfant, llisluire de la papesse Jeanne fidèlement tirée de la dissertation latine de F. Spanheim, 3’édit., la Haye, i’j36 (la première édition avait paru à Cologne, en 1694), tentèrent une liarmonistique de ces textes divers et opposés, et racontèrent, avec un grand luxe de circonstances, la vie de la papesse en combinant tout ce qui en avait été dit jusque-là. Il faut lire Lenfant, I" partie, ch. i, t. I, p. 1-4 1. pour voir ce que sont devenues les maigres lignes de la Chronica unii’ersalis Mettensis et comment une légende se développe.

Aûn d’édilier pleinement le public sur le compte de la papesse, l’éditeur de Lenfant enricliit l’ouvrage de ligures qui représentent l’une l’accouchement de la papesse au milieu d’une procession solennelle, une autre la constatation par la chaise stercoraire, la troisième un pape avec sa tiare (on sait que la tiare n’existait pas au temps de la prétendue papesse) portant un enfant dans ses bras, etc. Du reste, il y avait beaux jours que l’art avait été mis à contribution pour répandre la fable. Parmi les Ogures qui ornent l’édition de Berne, ib’ig, de l’Insigne opus de Claris mulieribus deBoccace, on remarque celle de la papesse accouchant dans une procession. Florimond de Remond, L’anti-papesse, p. 194-196, signale l’existence, en.-Vllemagne, de tableaux, et celle de

« livres et histoires ecclésiastiques genevoises », reproduisant

la même scène. Cf. Philomneste junior (pseudonyme de G. Brunet), I.a papesse Jeanne, étude historique et littéraire, édition augmentée et illustrée de curieuses grai’ures sur bois des xv" et xvi’siècles, Bruxelles, 1880.

III. La destruction de la légende- — A. Jusqu’à Florimond dk Remond. — 11. Après Florimond dr Rbmond.

A. Jusqu’à Florimond de Remond. — Les besoins de la polémique décidèrent les catholiques à ne pas accepter, les yeux fermés, ce qui se débitait sur la papesse Jeanne. D’autre part, la critique historique, non pas tout à fait absente mais encore inexpérimentée au moyen âge, était entrée dans une période de progrès, et des catholiques et des protestants l’appliquèrent à l’histoire de la papesse.

Ce fut un catholique, mais médiocre, mais « bon luthérien caché », dit P. Bayle, Dictionnaire historique et critique, Bàle, 1741. t. I, p. 384, cf. t. III, p. 7^5, et dont le livre fut inscrit dans l’édition /)r/Hceps de VJnde.r lihrorum prohibitorum, 1564, fol. 20 (parmi ceux des aiictores primæ classis, c’est-à-dire, comme l’explique la préface, fol. 4, des auteurs hérétiques ou suspects d’hérésie), ce fut Jean Thurmaier, surnommé Aventin,.Irentinas (de l’ancien nom de son pays natal, Abensberg, en Bavière, Avcntinium owvbusina), -^ 1534, qui. le premier, traita carrément de fable les récits sur la papesse, dans ses Annales Boiorum, i" édit., 15ô4, 2" édit. plus complète en 1682. Cf. N. Alexandre, Ilistoria ecclesiastica, édit. Mansi, Venise, 1778, t. VI, p. 324.

Ce qu’Aventin avait fait d’un mot, Onofrio Panvinio, -j- 1568, le compléta dans ses annotations aux Vies des Papes de Platina, publiées à Venise, 1557, presque sans lui, el, par lui, en 1566. Il consacra à la légende trois pages seulement. Le i’ite de’Ponte/ici. Venise, 1663, t. I, p. 208-211, non pas définitives, mais intelligentes, d’une critique judicieuse, et plus que suffisantes pour démolir la sotte historiette. Ainsi en jugèrent nombre d’écrivains, qui s’inspirèrent de lui. Parmi ceux qui lui donnèrent gain de cause, le capucin Sylvestre de Laval, Les justes grandeurs de l’Eglise romaine, Paris, 161 1, cite Casaubon, <t le plus sçavant de toute la prétendue reforme », et de Thou. Bellarmin, entre beaucoup d’autres et mieux que les autres, utilisii Panvinio et perfectionna ses preuves, De Homano l’onti/ice (publié en i, 586, au t. I des Controverses), 1. III, c. XXIV. Cf. J. de la Servière, La théologie de Bellarmin, Paris, 1908, p. iio-iii.

Après Panvinio et Bellarmin. un conseiller au parlement de Bordeaux, bien connu par ses polémiques antiprotestantes, Florimond de Remond, réfuta la légende. Il publia l’Erreur populaire de la papesse leanne, i^" édit. anonyme et sans indication de lieu ni de date, éditions à Paris (1588), à Bordeaux (1692, 1595), à Lyon (1095), qui reparut, avec un autre écrit du même auteur, sous ce titre : L’anticltrist et V anti-papesse, Paris (1699), Bordeaux (1602), Paris (1607). Il y eut une traduction latine par le fils de l’auteur, Jean-Charles, Bordeaux (1601), et une traduction flamande, Anvers (1614). « Au fond, dit Bayle, Dictionnaire historique et critique, t. III. p. 586-087, uotc, il est juste de convenir que l’ouvrage de Florimond de Remond n’est pas mauvais en son genre, et je ne pense pas que personne eût encore si bien réfuté le conte de la papesse. Il lui échappa néanmoins beaucoup de bévues, et il employa trop de digressions et trop de déclamations. i> C’est bien jugé. Il est vrai que Florimond s’est trompé plus d’une fois ; cf. la critique, çà et là discutable, de D. Blondel, Familier esclaircissement, p. 71-84 et De Joanna papissa, Amsterdam, 1657, p. 73-1 40. Il est vrai encore que, selon le goût du temps, l’auteur se plait aux déclamations et aux digressions (il en est de bien intéressantes)..Mais son œuvre porte. Sur la question des sources, il dit l’essentiel, sans toutefois être complet ni toujours assez circonspect. II montre les impossibilités de cette histoire el les contradictions de ceux qui l’ont accueillie. Il s’exprime de façon heureuse, sauf quelques détails, sur la statue, sur l’image de Sienne, sur l’emploi de la chaise